vendredi 30 août 2013

"Les prisons sont pleines de mecs comme vous !"

Un jeune de 16 ans et demi a menacé des voisins avec un sabre. Cette fois, la détention lui pend au nez. Le juge pour enfants cherche les mots.

Un mineur avec son éducatrice (photo d'illustration)
Un mineur avec son éducatrice
 
Tribunal de Lille. Un matin d'août. Deux jeunes de 16 ans et 17 ans viennent d'être interpellés. Ils sont déjà bien connus des services du procureur. L'un d'entre eux, Niels*, avait 10 ans lorsqu'il a commencé à avoir affaire à la justice. Il en a 16 et demi aujourd'hui. On voit apparaître son nom à 26 reprises dans les procédures. Cette fois, il a menacé des voisins avec une arme, en l'occurrence un sabre. "Encore lui !" lâche le magistrat de permanence. Qui décide de saisir le juge des enfants en vue de mettre en examen ce "presque majeur". "Le juge déterminera le degré de coercition dont il faudra assortir son contrôle judiciaire, et l'éventail est large entre la simple obligation de respecter sa scolarité et la mesure de placement dans un centre éducatif fermé", explique le magistrat.

"Je regrette les faits, je suis allé trop loin"

Les policiers conduisent Niels dans le bureau du juge des enfants, un homme à l'embonpoint patriarcal. "On ne se connaît pas, mais vous connaissez déjà bien le juge des enfants", assène le juge à l'adolescent devant son père qui l'accompagne. Niels se tortille sur sa chaise, lève les yeux au ciel et plonge sa tête vers le sol, laissant apparaître ses mèches blondes.
- Vous avez exercé des violences volontaires sur J. sous menace d'une arme, en l'occurrence un sabre de samouraï. Il n'y a pas d'ITT. Je vous écoute...
- Je regrette les faits, je suis allé trop loin, concède le jeune homme
- Vous dites ça parce que vous vous retrouvez dans le bureau d'un juge ?
- Non, monsieur le juge. Je sais que je n'ai pas le droit de me balader avec un sabre, en plus, il aurait pu se retourner contre moi. Mais J. m'a traité de bâtard, car ma mère est morte..., répond-il en regardant ses pieds.
- Peut-être, mais il y a d'abord eu un échange entre vous, vous n'êtes pas allé le voir sur un coup de tête, vous avez eu le temps d'y réfléchir ?
Niels s'agite sur sa chaise, regarde de tous les côtés comme s'il était en panne de mots et donnait des signaux de détresse.
- Il a voulu se faire ma copine, il lui faisait les yeux doux, il lui a dit "tu as un joli postérieur", s'énerve le jeune.
- C'est ce qu'on appelle un compliment ! rétorque le juge.
- Oui, c'est vrai, mais si je dis que votre femme a un joli postérieur, vous le prendriez comment, monsieur le juge ? ose Niels.

"Il fallait que je règle mes comptes"

- L'autre dit que vous l'avez provoqué. Vous avez cherché l'embrouille, esquive le juge.
- Il ne se contrôle pas quand on insulte sa mère, intervient son père.
- Vous lui donnez raison ? s'étonne le juge.
- Non, mais il y a quand même 50/50 dans cette affaire, assure le père.
- Il fallait que je règle mes comptes avec J., ajoute son fils. Maintenant, c'est lui qui a gagné. Parce que c'est moi qui suis là et pas lui !
- Vous savez qu'on peut vous condamner à une peine de prison pour ça ? Si vous étiez allé plus loin, vous auriez pu aller aux assises...
- Je vais partir à Quiévrechain* ? demande Niels, qui semble effrayé par une telle perspective.
- Non, pas aujourd'hui. Mais le jour où vous serez jugé, si vous vous présentez au tribunal en disant que vous travaillez ou que vous suivez une formation, ce sera mieux. En attendant, il faut que vous construisiez une image positive de vous...

"Vous savez ce qui vous attend ?"

Le compte rendu de l'éducateur n'est pas brillant. Il pointe l'attitude "indocile et revêche" de Niels qui se contrarie à la moindre futilité. Cet "écorché vif en quête d'appui a un tempérament à fleur de peau, ce qui est souvent déroutant", précise le rapport.
- Ils devaient m'orienter vers une formation de clariste..., se plaint Niels
- De cariste ! intervient son père
- De cariste, répète Niels. Ils disent qu'ils m'orientent, mais ils ne font rien. C'est de la clarinette, tout ça !
- Vous voulez dire que c'est du pipeau ? rectifie le juge. Et de menacer : si vous faites la moindre connerie, vous savez ce qui vous attend ?
- Oui, on passe à la barre et on repart en prison...
- Les juges verront que vous avez été rappelé à l'ordre plusieurs fois et ils vont peut-être vouloir cogner plus fort, prévient le juge.
Des paroles fermes, avant de chercher à lui faire parler de son mal-être.
- Il avait neuf ans quand sa mère est décédée dans ses bras, depuis, il est comme ça, explique le père.
- Vous n'avez jamais essayé de voir quelqu'un pour vider de votre tête cette souffrance d'enfant ?
- J'aime pas les psys, j'aime pas parler et raconter ma vie à des étrangers, dit Niels

"Un chemin vers la vraie vie"

- Et moi, je n'aime pas le dentiste, mais quand ça fait mal, j'y vais quand même, rétorque le juge. Si vous voulez trouver un chemin vers la vraie vie, il faut gratter là où ça fait mal, il faut mettre vos mots sur votre souffrance et regarder votre histoire en face.
- C'est pas possible, ça restera dedans...
- Votre frénésie d'action et d'agressivité, c'est une façon de ne pas penser, il faut plus de courage pour penser que pour prendre un sabre et taper dans le tas, et cela va vous poursuivre toute votre vie... Les prisons sont pleines de mecs comme vous ! Vous avez peut-être un autre avenir que celui d'un taulard. Tout seul et avec un père fragile, vous ne trouverez pas les ressources.
Le garçon s'est soudain calmé. Il observe le juge d'un air pensif. Avant de le congédier, le magistrat l'invite à mettre à profit sa mesure éducative : "Faites en sorte de construire quelque chose avec votre nouvelle éducatrice." En dépendra notamment la sanction qui sera prononcée lorsqu'il sera jugé. Après avoir récupéré sa fouille, Niels retourne chez lui. Nul ne sait, et surtout pas lui, s'il pourra un jour sortir de cette errance sans issue.
* Établissement pénitentiaire pour mineurs près de Lille
 

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