jeudi 14 novembre 2013

Meurtre du petit Valentin : les prisons sont inadaptées aux malades mentaux

éphane Moitoiret et Noëlla Hégo sont jugés en appel pour l'assassinat du petit Valentin, retrouvé mort en juillet 2008. Selon les experts qui suivent l'affaire, les deux accusés relèvent de graves troubles psychiatriques : tous s'accordent sur la psychose de Stéphane Moitoiret. Les malades mentaux ont-ils leur place en prison ? Réponse du docteur Michel David, psychiatre intervenant en milieu pénitentiaire.
 
L'Uhsa de Seclin prend en charge des personnes incarcérées nécessitant des soins psychiatriques

En prison, huit hommes sur 10 et sept femmes sur 10 présentent un trouble mental. Environ 35% des détenus sont considérés comme "manifestement malades, gravement malades ou parmi les plus malades". Ces chiffres révélés dans une enquête dirigée par le professeur Bruno Fallissard sont inquiétants. Et ceux avancés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté vont dans le même sens : il estime que près de 17.000 personnes incarcérées souffrent de troubles mentaux, dont 10.000 qui devraient être hospitalisées.

Que font ces malades en prison alors que, de toute évidence, ils n’y ont pas leur place ?

Des malades qui ne comprennent pas le sens de la peine

Dans certains cas, les avis d’experts divergent, pas tant sur l’existence d’une maladie que sur sa répercussion, sur le discernement de la personne au moment de son acte. Si le discernement est considéré comme aboli, la personne n’est pas punissable, elle est hospitalisée sans son consentement en établissement psychiatrique et n’en sortira que lorsque deux experts psychiatres se seront prononcés sur son absence de dangerosité.

Mais si le discernement est seulement altéré, la personne demeure punissable. Elle est alors condamnée, souvent à une peine plus lourde que celle qu’elle aurait eue si elle avait été saine d’esprit.
Dans d’autres cas, la pathologie mentale, bien que présente, n’est pas à l’origine du passage à l’acte  et la personne est condamnée car jugée responsable de ses actes. Dans d’autres cas encore, la maladie, absente lors de la commission des faits, survient au cours de l’incarcération.

Beaucoup de ces malades sont ou deviennent inaptes à la sanction pénale : ils ne sont pas en mesure de comprendre le sens de la peine. Or, punir des individus incapables de donner du sens à la sanction qui leur est infligée n’est ni plus ni moins qu’une façon de s’en débarrasser.

Des problèmes de santé et de sécurité

Les unités hospitalières spécialement aménagées (Uhsa) qui ont ouvert récemment ont vocation à prodiguer des soins à ces personnes et nous épargnent donc la difficile question du sens de la peine. On peut désormais soigner et punir. Ainsi, les prisons se peuplent-elles progressivement de malades mentaux. Soulevant à la fois un problème de santé et de sécurité.

Les centres de détention et maisons centrales reçoivent les condamnés à de longues peines. C’est pourtant dans ces établissements que l’on trouve le moins de psychiatres. Les personnes détenues y sont non ou mal soignées. Elles sont livrées à elles-mêmes tels les fous peuplant les asiles du XIXe siècle et sont exposées aux violences de la prison. Lorsqu’elles finissent par la quitter, elles sont totalement inadaptées à la société. Car pour être optimale, leur prise en charge doit se faire dans un cadre adapté qui permette des soins de qualité tout en leur garantissant, comme à la société, la sécurité.

L’enfermement au long cours a de lourdes conséquences psychologiques et l’état de ces malades en détention n’ira qu’en s’empirant. Certains, repliés sur eux-mêmes, seront oubliés, tandis que d’autres, présentant des troubles du comportement, que les surveillants pénitentiaires ne sauront pas gérer, finiront au quartier disciplinaire. Leur présence en détention engendrera de notables difficultés d’adaptation et de cohabitation qui les conduira souvent à des gestes désespérés parfois sur les autres, plus régulièrement sur eux-mêmes.

Il faut restaurer l’hôpital psychiatrique

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits du malade a prévu qu’une personne dont le pronostic vital est engagé peut voir sa peine suspendue. Ce n’est en revanche pas envisagé pour les malades mentaux condamnés à croupir en prison avant d’être jetés à la rue. C’est ainsi que la Garde des Sceaux Christiane Taubira a confirmé l’été dernier le maintien du centre pénitentiaire de Château-Thierry recevant des malades psychiatriques condamnés à de longues peines :

"Lorsqu'on regarde ce que coûterait la réhabilitation, on a la tentation de la fermeture, mais le service rendu par cet établissement ne justifie pas et même interdit la fermeture", a-t-elle déclaré.
Pourtant, sécurité des citoyens et prise en charge digne des malades mentaux ne sont pas deux notions incompatibles. Il convient pour cela de restaurer l’hôpital psychiatrique, de lui donner les moyens de prodiguer des soins de qualité sans contrainte de temps. Cela permettra de protéger la société sans qu’elle ait à avoir honte du sort qu’elle réserve à ses malades mentaux.

Ainsi, un acte, aussi abominable soit-il, aura coûte que coûte pour réponse, une réponse civilisée.
NouvelObs

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