dimanche 17 novembre 2013

Prisons qui se vident : mais quel est le secret des pays du Nord de l’Europe ?

La Suède a annoncé cette semaine fermer quatre de ses prisons. Avec une population carcérale en baisse continuelle, elle semble proposer un modèle effectif qui pourrait répondre au problème de la surpopulation carcérale française. Mais la criminalité, elle, ne faiblit pas.

 

Atlantico : Entre 2011 et 2012, le nombre de détenus a chuté de 6 % en Suède. Sur 9,5 millions d’habitants, seuls 4852 sont emprisonnés, l’un des taux d’incarcération les plus bas au monde. Comment expliquer cette sous population carcérale ? Quelles ont été les dernières directives du gouvernement suédois qui ont permis cet abaissement du chiffre de prisonniers ?

Alexandre Giuglaris : Si la Suède a un taux d'incarcération relativement bas, c'est d'abord parce que, pour des raisons historiques, sociales et culturelles. Le nombre de crimes et délits qui sont commis dans ce pays sont beaucoup moins nombreux que dans la plupart des pays occidentaux. Ce qui est intéressant, c'est l'évolution depuis quelques années. Comme tous les « petits » pays, la Suède a connu de très fortes fluctuations de sa population carcérale, à la hausse ou à la baisse. Celle-ci a augmenté de 20 % entre 2001 et 2004 ! Et à nouveau augmenté entre 2007 et 2009. Plus récemment, la Suède a effectivement mis en place une politique volontariste de diminution du nombre de détenus, qui a effectivement porté ses fruits... en termes de taux de détention. Mais le vrai problème est de savoir si cela fait reculer la criminalité ou pas.

Magnus Falkehed : Je ne connais pas le chiffre précis de la baisse du nombre des incarcérations mais globalement le gouvernement suédois a voulu une politique carcérale plus nuancée qu’en France avec une palette alternative. En France, on résonne en termes d’emprisonnement ou de bracelet  électronique alors que la Suède a instauré des parcours de prisonniers qui les mènent peu à peu vers la liberté, vers des prisons de plus en plus ouvertes où ils se retrouvent en semi-liberté, en soin de toxicomanie, ou dans des maisonnettes dans la forêt. D'ailleurs le système de prison est tellement bien rôdé que des prisonniers choisissent la Suède comme destination d'incarcération. A la Haye, il y a quelques temps déjà, des criminels de l'ex-Yougoslavie avaient choisit de s'installer dans les prisons suédoises, qui sont en très bon état comparées à d'autres européennes. Mais le sentiment d'enfermement est le même, ce n'est pas un phénomène de colonie de vacances. La volonté suédoise n’est pas de bâtir des prisons mais de prendre soin des prisonniers. D’ailleurs, dans le vocabulaire suédois, nous parlons de l’administration qui s’occupe des prisonniers non pas en terme de gardiens mais de soignants. Ça démontre une volonté de soigner les gens plutôt que de les enfermer. Un tiers des prisonniers souffrent de problème d’hyperactivité, en leur donnant un traitement médicamenteux, qui les aide à se calmer, ils sont aptes à se socialiser. Par ailleurs, des prisons comme on en voit en France, en béton, sont très couteuses. Les contribuables suédois, sont près de leurs sous et veulent limiter leur construction. D’ailleurs nous avons eu scandale de corruption en Suède avec un directeur de prison qui devait en bâtir. Par ailleurs, en fermant des prisons, on fait des économies de personnels.

Justement, le taux de criminalité aurait augmenté depuis les années 1970 d’après le site RtoZ, la politique de non-incarcération met-elle réellement un frein à la criminalité ? Quelles sont les problèmes liés à ce modèle ?

Alexandre Giuglaris: Le Ministère de la justice suédois confirme cette hausse sur son site. Les politiques de non-incarcération ne freinent pas la délinquance, au contraire. En France, chaque fois qu'il y a eu une politique volontariste de « déflation carcérale » (comme en 1981, ou en 1998), la criminalité a explosé. En Suède, au moins, cette politique s'accompagne d'une réponse pénale qui s'est intensifiée ces dernières années. On est plus rapidement sanctionné pour avoir enfreint la loi même si l'infraction et la sanction sont mineures. Ainsi, alors que le nombre d'affaires portées par le procureur devant les tribunaux a baissé de 4% en France entre 2008 et 2010, il a augmenté de 6% sur la même période en Suède.

Magnus Falkehed: J'ai plutôt entendu l'inverse. Dans le principal quotidien suédois dont je suis correspondant, nous avons établit que la baisse de la criminalité est une tendance lourde, les gens sont de moins en moins assassinés, aux Etats Unis comme en Suède.

La Suède comme l’Allemagne et les Pays-Bas favorisent les programmes de réhabilitation plutôt que l’incarcération, diminuant ainsi fortement le nombre de détenus. La France, qui fait face à un problème de surpopulation carcérale, devrait-elle (et pourrait-elle) s’inspirer du modèle scandinave ?

Alexandre Giuglaris: En Allemagne, le taux de détention n'a pas vraiment évolué depuis plusieurs décennies. Quant aux Pays-Bas, ils ont construit de nombreuses prisons dans les années 1990, ce qui leur a permis de mener une politique pénale de fermeté qui a conduit à faire reculer la criminalité... ce qui explique que le nombre de détenus diminue aujourd'hui. C'est d'ailleurs exactement ce qui se passe aussi aux Etats-Unis, où le nombre de détenus commence à diminuer en raison du recul extraordinaire de la criminalité depuis 1993 (elle a été divisée par 2). Le problème majeur en France est celui de l’inexécution des peines, et donc de l'impunité qui encourage la récidive. A quoi est dû ce problème ? A un manque de places de prison, ce qui n'est pas le cas de la Suède. Par conséquent, la priorité doit être de construire de nouvelles places de prison pour lutter contre l’inexécution des peines mais également contre la surpopulation carcérale.

Là où la France doit s’inspirer de la Suède c’est dans la cohérence de sa politique pénale avec sa population et son niveau de criminalité. Nous avons un niveau de délinquance qui est plus élevé et des spécificités propres à chaque pays. Les alternatives à la détention comme la probation doivent exister mais ils ne doivent absolument pas être conçus, ni utilisés comme une solution à la surpopulation carcérale car pour être envoyés en prison en France, il faut présenter un réel danger ou avoir commis un acte grave, souvent en récidive. Les alternatives existent et sont déjà largement utilisées puisque les peines de prison fermes ne représentant que 17% des peines.

Magnus Falkehed: L'enfermement est un moyen trop simple de répondre à la criminalité. D'ailleurs la surpopulation dans les prisons françaises est véritablement non-démocratique. La France doit se donner les moyens, non pas seulement financiers mais intellectuels pour faire face à cette surpopulation, sans que ce soit une réplique du modèle Suédois. Il faut d'abord avouer que les choses sont plus compliquées, qu'il faut prendre du temps pour y penser, peut être mettre en place des parcours pour prisonniers.  

4- Ces modèles nordiques préfigurent-ils la fin de l’incarcération de masse ?

Alexandre Giuglaris: Pour cela il faudrait qu'on soit dans un système d'incarcération de masse en France et ce n'est absolument pas le cas. La population carcérale, rapportée à la population, est en France inférieure à de nombreux pays européens comme l'Italie, la Grèce, le Royaume-Uni, le Portugal ou encore l'Espagne. Et nous comptons quasiment moitié moins de places que la moyenne des pays du Conseil de l’Europe. Donc gardons-nous de croire aux slogans faciles et mensongers du « tout carcéral » qui existerait en France car rien n’est plus faux.

www.atlantico.fr

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