vendredi 14 février 2014

Le projet choc sur les portables en prison

Le contrôleur Delarue souhaite une autorisation des téléphones en détention. Mais les personnels pénitentiaires sont contre.
 
Un prisonnier téléphone sous la surveillance d'un gardien, en 2006, à la centrale de Clairvaux.
 
Une provocation. Jean-Marie Delarue, le contrôleur des lieux de privation de liberté, a créé une onde de choc hier à l'Assemblée nationale. Auditionné par la commission des lois de l'Assemblée nationale, il s'est prononcé en faveur de l'autorisation des téléphones mobiles pour les détenus. Ce serait un «facteur considérable d'apaisement» de la détention. «Je crois que, le jour venu, il faudra autoriser les téléphones portables en détention», a-t-il affirmé. Ses propos interviennent alors que la pression est montée d'un cran dans l'administration pénitentiaire.

Les rixes entre détenus se multiplient

Depuis l'automne, les incidents, prise d'otages, mutinerie, tentative d'évasion ou rixes entre détenus, se multiplient. La réaction des surveillants sur une éventuelle autorisation des portables derrière les barreaux est sans appel: «Ce serait un abandon total de la sécurité des personnels, des établissements et de nos concitoyens, à commencer par les victimes qui pourraient faire l'objet de pressions de la part de ceux qui sont à l'intérieur même des prisons», affirme Loïc Broudin, secrétaire national adjoint de l'Ufap pénitentiaire, l'un des principaux syndicats de surveillants. «Vous rendez-vous compte des conséquences sur les réseaux sociaux et sur la Toile en général? Car la plupart de ces téléphones sont des smartphones.»

Depuis l'abandon des fouilles systématiques et collectives, le personnel pénitentiaire ne cesse de se plaindre d'un regain des trafics en prison. «Tout passe» faute de fouilles suffisantes ou à cause des projections depuis l'extérieur des murs qui n'ont cessé de se multiplier, font remarquer nombre de surveillants. Les directeurs d'établissement préfèrent tempérer ces propos en vantant les mérites de fouilles plus ciblées et individualisées, conséquence de la loi pénitentiaire de 2009.

Le trafic de téléphone mobile, une activité florissante

«Les personnels pénitentiaires n'ont pas le droit d'avoir leur téléphone sur le lieu de travail, mais s'ils veulent passer un coup de fil, ils trouveront toujours un détenu qui les dépanneront pour un coup de fil moyennant un paquet de cigarettes. Un comble!», s'insurge sous couvert d'anonymat un membre de l'administration pénitentiaire. Le trafic de téléphone mobile est devenu une activité florissante, source de conflits parfois violents entre détenus. «Nous épuisons les personnels à la recherche de téléphones portables, qui est un puits sans fond», a regretté Jean-Marie Delarue, rappelant qu'aux Baumettes à Marseille, environ 900 téléphones mobiles étaient saisis chaque année. Ces derniers peuvent, selon les dires du personnel pénitencier, «se négocier pour plusieurs centaines d'euros pièce».
«La prison ne peut passer à côté du débat. Il y a trente ans, il n'y avait pas de télévision en cellule»
«C'est une idée étrange de penser que, pour supprimer un trafic, il faut le légaliser», soupire Loïc Broudin. C'est surtout oublier que le téléphone mobile est devenu l'outil indispensable de toute tentative d'évasion permettant de prévenir les complices. Au point que «les extractions» sont désormais signifiées aux détenus au dernier moment pour éviter qu'ils ne préviennent l'extérieur. Car incidemment, le problème de ces téléphones mobiles est le défaut de législation permettant d'«intercepter les communications et de savoir ce qu'il se dit». De même les systèmes de brouillage sont très déficients, faute de moyens technologiques suffisants, «mais aussi parce que un système de brouillage s'appliquerait autant aux détenus qu'aux personnels pénitentiaires». Aussi pour Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du Syndicat national des directeurs pénitentiaires, «l'autorisation des téléphones portables est peu envisageable en l'absence de tout processus de contrôle».

Expérimentation à Berlin

Pour autant, chez toutes les organisations syndicales de directeurs pénitentiaires confondues, on estime que la «prison ne peut passer à côté du débat. La société change, il faut en tenir compte. Il y a trente ans, il n'y avait pas de télévision en cellule.» «On pourrait imaginer que pour des populations pénitentiaires ciblées comme celles des centres de semi-liberté par exemple, la solution soit envisagée.»

À Berlin, un grand centre de détention expérimente les téléphones dans les cellules. Le premier bilan est attendu avec impatience.

Le Figaro

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