vendredi 21 février 2014

Pierre Botton, l'homme qui veut changer la prison

L'Homme d'affaires n'a vraiment pas l'intention d'abandonner son business:
 
Moderniser la prison pour éviter la récidive : c'est l'obsession de Pierre Botton depuis son incarcération dans les années 1990. A force de ténacité, il a réussi à impliquer plusieurs grandes entreprises qui lui viennent en aide. Mais il se heurte toujours au conservatisme de l'administration pénitentiaire.
 
Pierre Botton n'est en fait jamais sorti de prison. Et s'il vous plante là, en plein milieu des couloirs froids et sonores de la maison d'arrêt de Fresnes, en banlieue parisienne, c'est pour mieux revenir plus tard. Tout de suite, il doit se rendre à un rendez-vous avec Henri de Castries, le patron d'AXA. « Il va nous aider, vous comprenez ? » On comprend. D'autant plus que Pierre Botton a de l'énergie et de la volonté pour douze et qu'il ne vous laisse pas le temps de répondre.

Canadienne en cuir, jean et pull, le cheveu toujours aussi brun et frisé, l'ancien homme d'affaires emprisonné dans les années 1990 pour abus de bien social nous a accueilli une heure plus tôt devant l'entrée de l'un des plus grands centres pénitentiaires de France : 2.600 personnes écrouées pour... 1.500 places. Le temps est à l'image du lieu : gris et froid. Mais celui qui fut le « gourou de la com' » de Michel Noir, le maire de Lyon, virevolte, iPad à la main, montre les vidéos de personnalités du monde de l'entreprise et du showbiz qui soutiennent son association « Ensemble contre la récidive ». Il s'emporte contre l'administration pénitentiaire qui ne tient pas ses promesses, détaille ses multiples projets pour rendre la prison plus humaine et les barrières qui se dressent sans cesse. Il parle, il parle, mais devant Stéphane Scotto, le directeur de la prison de Fresnes, soudain, il se tait. Il retrouve ses réflexes d'ancien taulard, plus d'exubérance. Il l'écoute respectueusement comme s'il avait gardé de sa détention cette habitude d'obéissance. D'ailleurs, il a été « son prisonnier », à la prison de Grasses. Il y a dix-huit ans, Stéphane Scotto dirigeait l'établissement pénitentiaire où Pierre Botton a passé 602 jours de détention. Alors oui, il connaît les règles, il a les codes, dit toujours « nous les détenus ». Mais veut croire que la prison guérit. Un ex-« golden boy » louant la vertu expiatoire de la justice et de la sanction ?
Pour ceux qui ont connu les affaires Noir-Botton entre 1980 et la fin des années 1990, il faut se pincer pour suivre ce « nouveau Botton ». Fric, mégalomanie, arrogance, sentiment de toute-puissance : « Je méritais d'aller en prison, j'ai gâché énormément de chances. Aujourd'hui, je souhaite expier la première partie de ma vie. » Et soudain, on comprend mieux son engagement forcené, entre thérapie de choc et douloureux cheminement personnel. Cela fait dix-huit ans qu'il est en analyse à Saint-Anne.

« La première nuit, c'est le néant »

Pierre Botton a vingt-sept ans quand il rencontre pour la première fois Michel Noir. Le député de Lyon est l'étoile montante du RPR. Le jeune Pierre, lui, voit loin. A la fin de ses études, il a repris l'entreprise familiale spécialisée dans l'agencement de pharmacies. Mais on est au début des années 1980, il y a mieux à faire, pense-t-il, pour qui a du bagout et est dévoré d'ambition. Pierre Botton brûle sa vie, entre copains dans le showbizz et relations d'affaires. Il connaît tout le CAC 40. En 1986, Michel Noir devient ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement de Jacques Chirac, Pierre Botton est son conseiller personnel et épouse sa fille aînée, Anne-Valérie. Tout se mélange, la famille, la politique, l'argent, les réseaux d'affaires... En 1988, Michel Noir est élu maire de Lyon. Le « système Botton » prend des allures folles : marchés publics détournés, trafic d'influence et malversations... jusqu'à ce que le juge Philippe Courroye sonne la fin. En 1992, Pierre Botton est mis en examen et incarcéré une première fois. Une série de procès très médiatiques marqueront les années suivantes, 24 millions de francs détournés, dont 12 à son bénéfice, selon la justice, qui ne l'a pas raté : Pierre Botton est incarcéré. « La première nuit, c'est le néant », raconte-t-il et sa voix se brise. Et puis la sortie, le 13 avril 1997. Mais dans sa tête, dans son corps, « je souffre », dit-il sans pudeur. « La prison m'a guéri. Mais dix-huit ans après, j'ai encore les stigmates. J'étais sur une fausse route, de fausses valeurs, fondées sur l'argent et l'image de soi, comme peuvent l'être aussi des petits délinquants de banlieue », explique-t-il. Alors il a décidé de prendre son bâton de pèlerin pénitent et de partir en mission.

En 2000, il obtient de la garde des Sceaux de l'époque, Elisabeth Guigou, une circulaire permettant aux détenus de signer le carnet de notes de leurs enfants. « La prison ne doit pas être un lieu d'humiliation », dit-il. En 2009, c'est avec une autre garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, qu'il met en place un programme contre le choc carcéral dans 20 maisons d'arrêt : il se bat pour avoir des bancs dans les cellules d'accueil, crée un film expliquant comment se passe la fouille, obtient l'autorisation pour les détenus de passer un coup de fil dès leur arrivée, d'avoir une trousse avec 2 serviettes et un parfum sans alcool. « C'est important quand votre femme, vos enfants viennent vous voir au parloir pour la première fois de ne pas sentir mauvais, de ne pas sentir la prison », explique-t-il.
 
En janvier 2010, il crée en hommage à son ami Coluche « Les prisons du coeur ». Mais le nom était trop ambigu, « trop clivant pour nos partenaires », explique Pierre Botton. Alors il le change et le 5 février 2013 lance « Ensemble contre la récidive ». Grâce à son carnet d'adresses, Pierre Botton mobilise les patrons d'AXA, Schneider Electric, Lafarge ou la FNAC. Il convainc Hermès de faire fabriquer par des détenus les logos des très chics sacs de la marque. M6 pourrait y sous-titrer ses émissions et l'Olympique Lyonnais prévoit d'y donner des formations d'éducateurs sportifs. « Le travail est le meilleur rempart contre le sentiment d'inutilité, le désoeuvrement et le désespoir. C'est par lui que sont susceptibles de remonter des valeurs essentielles - effort, mérite, reconnaissance... - et des perspectives d'avenir au-delà de la prison », plaide l'association. EDF, Suez, Colony Capital, AXA, Lafarge, Safran, Vinci, Spie... ont permis de financer à hauteur de plus de 1 million d'euros depuis juillet 2010 des études permettant d'innover dans la façon de faire exécuter leur peine aux condamnés de moins de cinq ans hors crimes sexuels et crimes de sang.

« Il a fallu sensibiliser les milieux économiques à ce combat très difficile pour cette cause peu porteuse, à tel point que l'un des éminents membres du Medef me disait récemment : "Je cherchais une cause plus difficile que la vôtre, je n'ai pas trouvée" », explique Pierre Botton, qui adore égrener les noms des artistes, sportifs, chefs d'entreprise, qui soutiennent l'association, de Michel Drucker à Yannick Noah, en passant par Djamel Bouras ou Raymond Domenech.

En 2012, il a un projet fou : construire une prison « sans grillage et sans barbelés » où les détenus, obligatoirement volontaires, travailleraient de 6 h 30 à 22 h 30 en étant payé au SMIC ou suivraient une formation. Il trouve les financements auprès des partenaires économiques. Et continue à améliorer le projet. En attendant, l'association a lancé une pétition signée par 331 parlementaires pour permettre à chaque élu, deux fois par an, de faire une visite surprise en prison accompagné de la presse. Christiane Taubira a dit oui, mais depuis ça piétine, le projet de loi est retardé et Pierre Botton fulmine.
 
D'ailleurs, depuis le début de l'année, il ne décolère pas. L'administration pénitentiaire, encore elle, a fait fermer le local dont disposait l'association à Fleury-Mérogis. Le but était de faire travailler dès mars prochain 30 jeunes détenus payés au SMIC. « On a investi 800.000 euros » avec Schneider, Orange et M6, s'insurge-t-il. Pierre Botton garde malgré tout ses soutiens et continue sa croisade. « Je trouve que c'est une honte de la société française, on ne prépare pas les détenus à la sortie. On a vraiment un intérêt objectif à prendre en charge leur formation pour éviter qu'ils ne soient "formés" par d'autres détenus », explique son ami Henri Lachman, l'ancien patron de Schneider Electric. Avec l'association, le groupe veut ouvrir le premier centre de formation à l'électricité à Fleury-Mérogis et accompagner les détenus jusqu'à l'emploi.

Autre projet à Fresnes. L'association veut créer un vrai terrain de sport « avec de vrais arbres » et rénover la salle polyvalente dite « La Chapelle », budget : 900.000 euros. Pour le terrain de sport, l'association a fait un prêt cautionné par AXA, et Safran va fournir de son côté les systèmes de surveillance très sophistiqués pour la salle de spectacle.

Un homme pressé

L'association n'oublie pas les gardiens de prison. « Lorsqu'on améliore les conditions de travail des surveillants, on améliore les conditions de détention et inversement », croit Pierre Botton. Pendant sa détention, un soir de Noël, un soir de déprime, il a fait une tentative de suicide. « C'est un gardien de prison qui m'a sauvé. » Avec Canal+, une « palme d'or contre la récidive » est créée et en mai 2013, 200 surveillants montent pour la première fois les marches du Palais des Festivals. Avec l'Olympique Lyonnais, ce sont des places à des matchs de foot, ou encore de théâtre, de concerts, avec M6 pour les surveillants, 1.850 personnels pénitentiaires en ont déjà profité. Avec Orange, l'agence BETC et Christie's, l'association a signé une convention destinée à favoriser la création artistique chez les détenus... L'association ne reçoit aucune subvention publique et aucun don privé, seulement des fonds provenant des entreprises ou de leur dirigeant à titre personnel.

Pierre Botton se démultiplie, il est pressé. L'administration pénitentiaire, elle, regarde, ergote... : « Il faut beaucoup de ténacité car à chaque changement de garde des Sceaux, ce sont de nouveaux plans, de nouveaux cahiers des charges, de nouvelles études sur de nouveaux sites qu'il nous faut retravailler et réunir pour convaincre une administration qui ne reçoit pas d'un bon oeil des innovations dont elle n'est pas l'auteur », explique Pierre Botton. Mais l'ancien délinquant en col blanc a une « énergie débordante », souligne son ami Martin Bouygues qui a aidé l'association en fournissant notamment des études techniques. «  Son projet est bien mené, intelligent. Il n'y a pas de gaspillage. Faire baisser la récidive est un vrai sujet de société. Plus nombreux nous serons, mieux ça sera », insiste l'homme d'affaires.
Valérie de Senneville
Les points à retenir
 
Emprisonné dans les années 1990 pour abus de bien social, l'ancien gendre de Michel Noir a créé l'association Ensemble contre la récidive.

 Il embarque dans son projet de grandes entreprises comme AXA, Schneider, EDF, Suez, M6, ou encore la FNAC.

Sa nouvelle idée, créer une prison « sans grillage et sans barbelés » se heurte aux réticences de l'administration.
 

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