vendredi 16 mai 2014

Prison: la dérive des peines alternatives

Alors que la réforme pénale  prévoit de multiplier les sanctions  sans prison, notre enquête sur le suivi actuel des délinquants « hors les murs » révèle les failles du système.
 
Un condamné au centre de semi-liberté de Lyon.
Un condamné au centre de semi-liberté de Lyon
 
La France est déjà championne d'Europe du bracelet électronique. Elle le sera davantage encore avec la réforme pénale de Christiane Taubira, qui entend promouvoir les peines alternatives en lieu et place de l'incarcération. Une révolution copernicienne, puisque la prison ne sera bientôt plus la peine de référence. De quoi désarçonner un certain nombre de praticiens, qu'ils soient juges d'application des peines ou conseillers d'insertion et de probation.
Sur eux reposera bientôt l'ensemble de ce nouveau système pénal, fondé en principe sur un contrôle scrupuleux de ces sanctions sans prison. «Je ne sais pas comment cela se passe ailleurs en province, mais, en région parisienne, les contrôles méticuleux des condamnés non incarcérés, c'est tout simplement impossible, surtout en ce qui concerne les bracelets électroniques», souligne cette juge d'application des peines qui ne cache plus les difficultés de ce procédé dont l'usage ne cesse de se répandre depuis son lancement il y a douze ans déjà. «Sur la France entière, en 2013, ce sont 32.000 condamnés qui, à un moment ou à un autre, ont été mis sous bracelet électronique, contre 25.000 en 2011. Soit un stock de 11.000 personnes actuellement», explique Julien Morel d'Arleux, sous-directeur à la Direction de l'administration pénitentiaire. «Des flux et des stocks» de plus en plus conséquents, dont il faut gérer les alarmes quotidiennes.

Ces dernières se déclenchent quand le condamné astreint à des horaires d'entrée et de sortie de son domicile ne les respecte pas. Le bracelet connecté à un boîtier est «paramétré» par un fonctionnaire de la Pénitentiaire selon des critères définis par le juge d'application des peines et le conseiller d'insertion et de probation. Le périmètre autorisé peut se réduire au lieu d'habitation ou aller jusqu'au bas de l'immeuble ou le jardin. Au moindre retard, le central technique situé sur le site de Fresnes et qui gère la totalité des bracelets de la région Île-de-France est alerté. En tout, une dizaine de fonctionnaires se relaient pour «monitorer» ces alarmes qui ont «leurs heures de pointe, le matin et le soir», souligne Julien Morel d'Arleux. Ce sont eux qui établissent un premier filtre en rappelant les condamnés et établissent «la première levée de doute» avant de transmettre leur rapport aux centres départementaux d'insertion et de probation qui devront analyser «les incidents», en faire des rapports, convoquer les personnes qui n'ont pas respecté leurs obligations et les recevoir. Au 1er mai dernier, les statistiques affichent 1830 bracelets électroniques pour les huit départements de la région parisienne avec des concentrations très importantes pour la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et Paris. Le taux d'incident y est compris entre 10 et 15 % par jour avec des pics le week-end. Lundi dernier, pour le Val-d'Oise, l'administration pénitentiaire a totalisé 53 incidents sur le week-end, soit un quart des bracelets… Un chiffre classique, alors que, si le pôle centralisateur technique fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les centres départementaux, eux, n'ont pas de permanence de fin de semaine.
400 postes de conseillers d'insertion et de probation doivent être créés dès cette année
Du coup, certains tribunaux - Paris a cette réputation - se sont résignés à accorder des permissions qui durent la totalité du week-end et rédigées comme suit: «du vendredi matin au lundi soir après le travail». «C'est vrai, c'est une pratique qui s'étend», avoue un bon connaisseur de l'administration pénitentiaire. «Cela signifie que les condamnés ne restent en réalité sous bracelet électronique que trois jours par semaine!» Au quotidien, le flux est si tendu que les principaux tribunaux, comme Bobigny, qui gère 436 bracelets, et Paris, qui en compte 245, «renoncent à contrôler les incidents, font un classement vertical des dossiers ou, au mieux, demandent un énième rapport à leur conseiller d'insertion avant d'agir. Autant dire qu'entre le moment où l'incident est notifié et l'affaire traitée il peut se passer beaucoup de temps», avoue un juge d'application des peines. Il faut dire que ces magistrats croulent sous le nombre de dossier. «En moyenne, les juges d'application des peines gèrent jusqu'à 120 dossiers, tandis que leurs homologues canadiens n'en ont qu'une vingtaine chacun. Dans ce cas, l'individualisation du suivi prend tout son sens», note un haut fonctionnaire de la police
«Il est certain que, de plus en plus, les magistrats se reposent et délèguent ce contrôle aux conseillers d'insertion et de probation et n'interviennent qu'en cas de gros problème de recadrage. Cette délégation accrue est dans l'air du temps», souligne un directeur de centre de semi-liberté du Val-de-Marne qui y voit «une reconnaissance du travail de la pénitentiaire».

Une «reconnaissance» qui n'empêche pas les conseillers d'insertion et de probation d'être débordés. Entre le rappel, les vérifications, les convocations, les rendez-vous et les rapports, certains conseillers d'insertion et de probation n'ont d'autre choix que le pragmatisme. Comme beaucoup de magistrats, ils se fixent des règles non écrites. En Seine-Saint-Denis, l'intendance est si lourde que les conseillers d'insertion et de probation ne convoquent pas les condamnés récalcitrants à moins d'une heure et demie de retard sur les horaires fixés par le juge. Conscient de l'enjeu, le ministère de la Justice a annoncé à l'automne la création de 400 postes de conseillers d'insertion et de probation dès 2014 et de 1000 postes à l'horizon 2017.
Le Figaro

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