samedi 23 août 2014

Conditions de détention à Basse-Terre : un taulard balance

Menaces, rackets et agressions « pour 3 fois rien. » Sans oublier les trafics dans l'enceinte ou encore les « pressions exercées sur des familles de détenus » afin de faire « entrer drogue, argent et téléphones portables. » Un des taulards de la maison d'arrêt de Basse-Terre témoigne sur les conditions de détention dans « la pire prison de France. »
 
« Si je dois payer pour ma sécurité, je le fais. » Coût de cette relative tranquillité qui se négocie en cash ? Fluctuante en fonction du détenu, de son pedigree et de l'estimation de ses moyens financiers par le reste de la population carcérale. « J'ai un voisin de cellule qui verse chaque semaine 200 euros. Ce sont ses parents qui lui ramènent l'argent lors des parloirs du samedi. » Impossible, par contre, de savoir dans quelle poche tombent les billets. Derrière les barreaux, mieux vaut éviter de trop entrer dans les détails. Quand bien même on est décidé à briser la loi du silence. À défaut de noms, il faudra se contenter de grades : « Vous savez, ici, il y a des boss, les petitscaïds et les autres. »
Bienvenue dans l'univers de la maison d'arrêt de Basse-Terre. Un des deux établissements carcéraux implantés en Guadeloupe et au sujet duquel tout le monde - ou presque - y est allé de son petit commentaire. Pour un ancien ministre venu visiter l'antique bâtiment, il s'agit « de la pire prison de France. » D'une véritable « honte pour la République » . Les rapports dressés année après année par l'observatoire international des prisons semblent le confirmer. Idem pour les syndicats de gardiens qui montent régulièrement au créneau pour dénoncer « surpopulation, trafic et insécurité » (lire par ailleurs). Quant aux avocats, ils ont pris pour habitude de s'appuyer sur un leitmotiv simple lors de leurs plaidoiries en audience correctionnelle : « Si nos prisons remplissaient leur rôle de réinsertion, ça se saurait. On en sort pire qu'on y entre. »
 
PIQUÉ DEUX FOIS EN QUELQUES SEMAINES
 
Manquait juste la voix des « sans voix » . C'est désormais chose faite avec le témoignage livré par un détenu actuellement incarcéré à Basse-Terre. Nous l'appellerons Gérard. L'homme n'est pas là pour pleurer une remise en liberté ou implorer la moindre indulgence. « Si j'ai une peine à purger, je la purgerai. Je suis OK pour ça » , précise-t-il d'emblée. Sa démarche est à chercher ailleurs : « Je vous écris aujourd'hui parce que je ne peux plus accepter que certains détenus, c'est-à-dire les boss, menacent, agressent, rackettent et parviennent à téléphoner pour menacer nos familles dans le but de les contraindre à passer des cartes de portables ou de l'argent. »
À entendre Gérard, l'administration pénitentiaire serait « parfaitement au courant » . Vrai, faux ? En tout cas, elle semble voir d'un mauvais oeil la démarche d'un homme qui a décidé de parler après « avoir été agressé deux fois en juin puis en août » : « Les premiers courriers que j'ai tenté d'envoyer à votre journal ont été ouverts et lus par la direction avant de m'être retournés. »
Finalement, c'est « sous le manteau » que le témoignage a pu sortir. Un autre détenu disposant d'un mobile s'est chargé de nous alerter. Non sans préciser : « Vous savez, des téléphones, presque tout le monde en a au moins un ici. Le mien, je l'utilise juste pour rester en connexion avec ma famille. »
CONTACT PERMANENT AVEC L'EXTÉRIEUR
L'aveu a de quoi faire tiquer. Sauf qu'il y a pire. « À Basse-Terre, il y a un gros problème de sécurité. Que ce soit pour nous, détenus, mais aussi pour les surveillants. Il faut vraiment voir quand il y a une bagarre. Parfois, ils sont dépassés » , assure Gérard. Avant de balancer : « Le racket, c'est tous les jours. La violence aussi. Il est possible de se faire tabasser pour 10 euros, une orange, etc. À cela s'ajoutent les trafics. Certains « auxi » (il s'agit de détenus travaillant dans l'enceinte des prisons, NDLR) profitent de leur activité pour vendre des choses. Comme des portables. » Ça, c'est une autre réalité : « Toutes ces combines et tout cet argent qui circule servent à payer la drogue et le tabac. Les volumes écoulés sont considérables! Vous savez, 80% des détenus sont des consommateurs. »
Si le chiffre avancé par Gérard peut être sujet à caution, la situation qu'il décrit n'étonne en rien un des avocats de la place : « Plusieurs de mes clients m'ont déjà raconté qu'il est extrêmement facile de se procurer herbe, crack et cocaïne. En fait, tout circule en prison. À l'exception des armes à feu. Il faut dire que l'administration ferme plus ou moins les yeux. Mais peut-elle faire autre chose ? Tolérer ces consommations, c'est comme retirer le petit bouchon d'une cocotte-minute. Ça permet de faire un peu retomber la pression. Sans cela, les choses apparaîtraient autrement plus explosives. »
Début d'incendie hier matin dans une cellule
Il n'y a pas que les agressions entre détenus ou dirigées contre des surveillants qui agitent le quotidien de la maison d'arrêt de Basse-Terre. Hier, en fin de matinée, un détenu a apparemment mis le feu à son matelas. Les pompiers sont intervenus et les détenus des autres cellules ont été évacués. Les flammes, rapidement maîtrisées, ne semblent pas avoir occasionné de gros dégâts. En revanche, l'individu suspecté d'être à l'origine de cet acte, a été acheminé vers le CHBT après avoir inhalé des fumées.
BILLET. Une bombe à retardement
Parler de prison, de conditions de détention et de détenus n'a jamais vraiment fait recette. Du côté du grand public, le message est entendu : la prison a l'énorme avantage de protéger la société des délinquants. À quoi bon s'intéresser au sort de ces individus privés de la liberté de voler, agresser ou pire encore ? Et puis, s'ils sont derrière les barreaux, c'est qu'ils l'ont forcément cherché.
C'est oublier quelques détails. En maison d'arrêt, on ne trouve pas forcément que des délinquants. Figurent, également, des individus placés en détention provisoire dans l'attente de leur jugement. Jugement qui peut aboutir à une relaxe ou un acquittement. « Est-ce judicieux, du coup, de les placer dans des cellules où se trouvent des personnes purgeant une peine ? » , s'interroge un avocat.
POUR ÉVITER LA RÉCIDIVE, LA LIBÉRATION SE PRÉPARE
Quant aux « vrais » condamnés, tôt ou tard, ils ressortiront. Un détenu ne passe généralement pas sa vie derrière les barreaux. Même s'il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, il finit par sortir. Au bout de 20, 25 ou 30 ans. Il est nécessaire de préparer cette échéance. Du travail est mené en ce sens.
Mais de manière insuffisante. Selon les statistiques : l'emprisonnement ferme produit des taux de récidives plus élevés que les peines sans prison. La récidive touche 58% des détenus ayant bénéficié d'une sortie sèche alors qu'elle ne concerne que 38% des prisonniers ayant fait l'objet d'une libération conditionnelle.
 
L'OISIVETÉ POUR SE PROTÉGER
L'intérêt des conditions de détention mais également l'état des prisons prennent du coup tout leur sens : « S'il y a, en prison, des gens qui n'ont plus rien à perdre, il y a aussi un public plus fragile qui devient très vite une proie facile pour les autres détenus. Victimes d'agressions ou de racket, il peut lui arriver de refuser toute activité ou tout travail pour se protéger. Certains peuvent même demander à être placés à l'isolement. Or, le système pénitentiaire fait que celui qui ne fait rien aura d'énormes difficultés à bénéficier d'un aménagement de peine » , avance un avocat. Un cercle vicieux en somme, qui n'est autre qu'une bombe à retardement pour la société.
B.C.
 
Les prisons guadeloupéennes au bord de l'implosion
 
Violences, surpopulation, trafics de drogue et guerre de gangs. La situation dans la très vétuste prison de Basse-Terre, et au centre pénitentiaire de Baie-Mahault ne semble, malgré les rapports accablants, pas près d'évoluer.
 
« Vous savez, Madame la présidente, en prison, c'est la loi du plus fort » , lançait un détenu jugé le mois dernier pour des faits de violence sur un codétenu. Il lui avait asséné 5 coups de pic, un objet tranchant confectionné artisanalement. Pour cette agression, l'homme avait été condamné à une peine d'un an de prison supplémentaire. Il y a deux semaines, ce sont quatre jeunes prévenus qui comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre pour l'agression d'un surveillant dans l'enceinte du centre pénitentiaire de Baie-Mahault. Après l'avoir ceinturé, les détenus lui avaient dérobé ses clefs. L'affaire aurait pu se terminer en révolte générale si les autres prisonniers avaient choisi de suivre la bande. Les mis en cause avaient écopé de 6 à 16 mois de prison de plus. En novembre, c'est un homicide qui avait été perpétré dans l'enceinte de la prison de Fonds-Sarail. Le meurtrier, un sexagénaire condamné à une lourde peine, avait poignardé, à l'aide d'un pic, l'un de ses cinq codétenus.
 
Les violences et agressions à coups de pic ou de couteau à cran d'arrêt seraient devenues presque banales. Armes blanches, alcool, crack, cocaïne et héroïne y circuleraient librement, à en croire Catherine Champrenault, le procureur général.
 
« À QUI LA FAUTE ? »
 
« Mais à qui la faute ? » , s'interrogeait maître Olivier Chipan le 17 juillet, lors d'une plaidoirie consacrée à l'agression d'un détenu par plusieurs autres en prison. « À ces jeunes vivant dans la plus grande difficulté dans un environnement si dangereux, ou aux services chargés d'assurer leur sécurité ? » , poursuivait-il.
Du côté des syndicats Ufap et de la CGT pénitentiaire, le responsable était tout trouvé : un article de loi voté sous Sarkozy et qui serait parvenu à anéantir le socle de sécurité dans les prisons, en sonnant l'arrêt des fouilles systématiques des détenus en fin de parloir. Des prisons en forme de passoire, où les portiques, ne détectant que le métal, ne parviennent pas à empêcher l'afflux d'alcool, de drogues ou de téléphones acheminés par les familles.
Cela ajouté à la guerre des gangs qui se poursuit à l'intérieur de la prison, et à la situation particulière qu'on peut trouver à la maison d'arrêt de Basse-Terre où des détenus condamnés à de longues peines côtoient des prisonniers en détention provisoire, et vous avez un cocktail pour le moins explosif.
Un groupe de travail composé de parlementaires et des services de la chancellerie avait été installé par la garde des Sceaux, en septembre. Le rapport, remis par Laurent Ridel, chef de la mission Outre-mer de l'administration pénitentiaire, à George Pau-Langevin et Christiane Taubira, mettait en avant pas moins de 49 propositions. Notamment une équipe de sécurité contre la violence en prison.
L'arrêt des fouilles systématiques des détenus en fin de parloire serait une des causes à l'afflux d'alcool, de drogues ou de téléphones acheminés par les familles. (Roberto Birhus)

« LES DÉTENUS, ON LES TASSE »
Une expérience similaire avait été conduite en Martinique en 2013, avec la création d'une équipe de sécurité à Ducos. 300 téléphones portables, 15 kilos de stupéfiants, 500 litres d'alcool, de nombreux couteaux avaient ainsi été saisis. Ce rapport prévoit surtout l'accroissement du parc pénitentiaire guadeloupéen, avec un projet d'extension et de reconstruction de la maison d'arrêt de Basse-Terre, et celui de l'extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault.
Car les violences ne sont que la partie émergée de l'iceberg. D'autres difficultés viennent, encore, assombrir le tableau, et servent de vivier au développement des agressions. Parmi elles, la surpopulation carcérale. Les prisons guadeloupéennes sont d'ailleurs régulièrement épinglées dans des rapports tous plus accablants les uns que les autres. Car en Guadeloupe, l'insularité fait qu'il n'est pas possible de transférer les détenus vers d'autres départements. « À Fonds Sarail, on n'héberge plus les détenus, on les tasse. Plus d'une centaine dort par terre, sur des matelas » , affirme Brigitte Ebéné, délégué syndical régional Ufap. « Une situation qui intensifie les tensions » , selon Marc Astasie, secrétaire général de la CGT pénitentiaire.
Sans même parler des conditions d'hygiène, surtout à la prison de Basse-Terre, dont la vétusté des locaux « y rend les conditions de travail indignes, d'un autre temps » poursuit le syndicaliste. Une maison d'arrêt qualifiée dès 1988 de « honte de la République » par le ministre de l'Outre-mer de l'époque, Louis Le Pensec. Toilettes à la turque, douches sans portes, murs maculés, promiscuité. Plus de 25 ans après, rien ne semble avoir changé. « Des prisons comme celle-là, il n'en existerait aucune en France » , assurent les syndicats. Tout raser, et tout reconstruire semble la seule solution. Évoqué dès 1998, le projet est, pour l'heure, au point mort.
Boris COURRET
En prison, l'oisiveté est reine
 
Pas grand-chose ne semble proposé aux détenus. La loi oblige pourtant à occuper « les longues peines » , « mais à Baie-Mahault, ce n'est pas le cas » , selon un membre de la CGT Pénitentiaire. Seules des places en cuisine ou à la buanderie sont offertes par l'administration. De quoi rendre la réinsertion délicate. Le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) dispose de locaux à Pointe-à-Pitre. Mais seulement 10 personnes y sont affectées, alors qu'elles doivent chacune s'occuper de près de 150 personnes.
TROIS QUESTIONS À LAURENT RIDEL, directeur interrégional des services pénitentiaires pour l'Outre-mer : « Ils reproduisent ce qu'ils faisaient à l'extérieur »
Quelles sont les perspectives d'évolution des prisons ?
Un rapport parlementaire a été remis en juillet à la garde des Sceaux. Des opérations immobilières sont prévues, telles que l'extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et la reconstruction de la maison d'arrêt de Basse-Terre. Les travaux devraient débuter dans trois ans. Nous avons déjà rénové l'électricité, les sanitaires. Des cabines téléphoniques ont été installées. Un quartier de prise en charge pour les détenus atteints de troubles psychiatriques a été créé à Baie-Mahault. Le quartier disciplinaire à Basse-Terre a été rénové et est désormais aux normes. Mais la prison, dans sa globalité et du fait de son ancienneté, ne pourra, elle, pas être aux normes.
Comment luttez-vous contre les violences ?
Un plan de prévention contre les violences a été mis en oeuvre. Deux tiers des prisonniers se retrouvent incarcérés pour des faits de violence. Ils s'insèrent dans un nouvel environnement, mais ne font que reproduire ce qu'ils faisaient à l'extérieur. Par rapport à l'année dernière, où un homicide avait été perpétré, les agressions sont en baisse au centre pénitentiaire de Baie-Mahault. Nous y avons également installé des filets anti-projections, afin de récupérer les armes, les drogues ou l'alcool qui sont lancés depuis l'extérieur. Ensuite, les fouilles des prisonniers sont quasi-systématiques. On ne peut pas contrôler tous les détenus, mais 80% d'entre eux sont fouillés à l'issue des parloirs.
Un travail de réinsertion est-il véritablement mené ?
 
Le personnel du Spip (Service pénitentiaire d'insertion et de probation) intervient régulièrement, et travaille pour favoriser la réinsertion sociale. Des visiteurs de prison sont souvent présents, et apportent aux détenus une aide et un soutien pour les préparer à une réinsertion. Nous offrons également des places en cuisine, à la buanderie, ou à la bibliothèque.
 
Propos recueillis par B.Co.

1664

C'est l'année de construction du bâtiment qui abrite aujourd'hui la maison d'arrêt de Basse-Terre. Certes, à cette époque il ne s'agissait pas encore d'une prison. Mais le constat est là : c'est beaucoup plus ancien que la prison de la Santé, à Paris, qui est en cours de déconstruction en ce moment.

151,5%

151,5% comme le taux d'occupation à la prison de Basse-Terre. (Il serait actuellement de 130% selon Laurent Ridel).

139%

139% c'est, en pourcentage, le taux d'occupation de la maison d'arrêt de Baie-Mahault.

100

100 c'est le nombre de prisonniers qui dormiraient chaque soir sur des matelas posés à même le sol à Baie-Mahault

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