vendredi 29 août 2014

Emprisonnement individuel : la France, dans l'illégalité depuis 139 ans

Rien n'a changé depuis 139 ans ! Le Ministère de la Justice est dans l'illégalité la plus complète !
 
Jean-Jacques Urvoas, président PS de la commission des Lois de l'Assemblée, réclame que soit enfin appliquée une loi sur les prisons datant de 1875.
 
Un débat sur l'encellulement invididuel pourrait avoir lieu en octobre prochain au Parlement, selon la chancellerie.
Un débat sur l'encellulement invididuel pourrait avoir lieu en octobre prochain au Parlement, selon la chancellerie
C'est un jour fatidique pour Christiane Taubira. Le 25 novembre 2014, après de très nombreux reports, la France sera dans l'obligation de garantir aux détenus une cellule individuelle. "Il faut, enfin, appliquer cette loi. C'est une priorité absolue, un dossier d'actualité immédiate", alerte Jean-Jacques Urvoas, président socialiste de la commission des Lois de l'Assemblée nationale. Un texte qui a été promulgué... en 1875, sous la IIIe République, par le maréchal de Mac Mahon, il y a plus de 139 ans ! Il rend l'emprisonnement individuel obligatoire pour tous les condamnés à moins d'un an de prison et facultatif pour ceux purgeant une plus longue peine.
 
La chancellerie, contactée par Le Point.fr, confesse qu'elle n'y parviendra pas dans les délais. Et se défausse en partie sur la précédente majorité qui n'a "rien programmé ni budgétisé pendant des années". Des arbitrages doivent être rendus en septembre, confie-t-on au ministère de la Justice, pour inscrire l'emprisonnement individuel dans le budget. Un débat au Parlement pourrait même avoir lieu à l'automne. Jean-Jacques Urvoas soupire : "Je ne veux pas de report ni de nouveau palliatif pour ce texte."

Des détenus enfermés seuls, en silence, cagoulés

L'idée d'un emprisonnement individuel fait surface à la moitié du XIXe siècle. Dans son rapport intitulé De la Répression pénale, le juriste Alphonse Bérenger écrivait ainsi en 1855 : "Comment serait-on fondé à s'étonner de l'immoralité croissante des détenus et des condamnés, immoralité qui se manifeste de plus en plus par l'augmentation vraiment effrayante des récidives ? Comment pourrait-il en être autrement, lorsque se trouvent forcément réunis dans les mêmes lieux les condamnés, les prévenus, les jeunes gens au-dessous de 16 ans, quelquefois même les femmes, mettant leurs vices en commun, s'excitant mutuellement au mal, et se livrant avec une contagieuse impudeur aux actes les plus hautement réprouvés par la morale ?"
Et Charles Waternau, un autre penseur du droit, d'enfoncer le clou en 1872 dans son livre Quelques mots sur le système pénitentiaire français : "Les prisons sont des écoles de vices, des hôtelleries destinées à héberger périodiquement, par la récidive, les mêmes individus ; le cancer étend ses ravages et son venin par le contact ; de là la nécessité de la séparation" des détenus. À partir des années 1830, de nombreux rapports préconisent ainsi la création de prisons sur le mode de l'emprisonnement cellulaire, et non plus sous forme de dortoirs. Mais, pour des raisons économiques, Napoléon III mettra un coup d'arrêt à cette évolution : Christiane Taubira n'est pas seule à avoir des problèmes de budget ! Ce n'est qu'en 1875 que l'enfermement cellulaire sera réintroduit. Les détenus devront purger leur peine seuls et en silence, et devront porter, lors de leurs déplacements, une cagoule en étamine de laine qui leur couvre intégralement le visage.

Une loi jamais appliquée...

Évidemment, aujourd'hui, la pensée s'est modernisée. Dans son rapport publié en avril 2014, le contrôleur général des prisons écrit : "L'encellulement individuel vise à offrir, à chaque personne incarcérée, un espace où elle se trouve protégée d'autrui et où elle peut donc ainsi préserver son intimité et se soustraire, dans ce lieu, aux violences et aux menaces des rapports sociaux en prison. L'encellulement individuel est une garantie de la réinsertion ultérieure et concourt au caractère effectif des droits fondamentaux."
Mais la surpopulation carcérale a atteint de tels niveaux en France que sur les 67 070 détenus actuellement, 12 589 sont en surnombre selon les statistiques du démographe pénal Pierre-Victor Tournier au 1er août 2014, dont 1 010 personnes qui dorment sur un matelas à même le sol dans des cellules surpeuplées. Dans ces conditions, comment appliquer l'enfermement individuel ? Là encore, c'est le contrôleur général des prisons qui donne quelques pistes. Pourquoi ne pas commencer par isoler les personnes âgées, les malades, les handicapés pour progressivement garantir la cellule individuelle à tous les détenus ?

... et sans cesse reportée

Pour Jean-Jacques Urvoas, c'en est trop. Depuis des années, le député socialiste interpelle fréquemment les ministres de la Justice sur ce droit à l'emprisonnement individuel, garanti par la loi Guigou de 2000, et inscrit dans l'article 717-2 de notre code de procédure pénale. Initialement, ce droit devait être rendu obligatoire en 2003, mais il a, "de reports successifs en palliatifs provisoires, régulièrement été décalé", note le président de la commission des Lois de l'Assemblée. Le gouvernement de François Fillon s'était finalement engagé lors des discussions autour de la loi pénitentiaire de 2009 à rendre effectif le droit à l'emprisonnement individuel le 25 novembre 2014. La date approche à grands pas.
En janvier 2011, le ministre de la Justice Michel Mercier avait écrit en réponse à une question d'Urvoas : "À l'issue du nouveau programme immobilier, en 2017, 95 % des personnes détenues devront effectivement bénéficier d'une cellule individuelle". Un programme pénitentiaire mal ficelé que Christiane Taubira a mis par terre pour financer sa réforme pénale. Interpellée elle aussi sur le sujet par Jean-Jacques Urvoas en janvier 2014, elle n'a pas encore donné de réponse.

Le Point

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