mardi 31 mars 2015

A Arles, des détenus “facilitateurs” pour redonner de l’espoir

A la centrale d’Arles, l’administration a mis en place des “facilitateurs”, des détenus chargés de pacifier les relations à l’intérieur de la prison. Devant les bons résultats, le ministère de la Justice envisage d’étendre ce programme.  
 
A la centrale d’Arles, depuis quatre ans, une dizaine de “facilitateurs” tentent de désamorcer les colères et prévenir les violences. Comme une preuve du chemin parcouru, Stéphane lâche d’emblée: “Etre assis ici, avec vous, il y a encore quelques années, c’était impossible pour moi. J’aurais eu l’impression d’écrire une lettre de dénonciation.”

Mais après quinze ans passés à l’isolement et plusieurs tentatives d’évasion, ce quadragénaire au visage buriné et à la voix de fumeur est devenu, il y a un an et demi, détenu facilitateur à la maison centrale d’Arles, dans les Bouches-du-Rhône.

Comme lui, ils sont une petite dizaine à avoir été sélectionnés par l’administration pénitentiaire pour accompagner ceux qui ont le plus de mal avec la détention et servir de relais au près de surveillants avec qui ils sont souvent en guerre. “Il y a une différence entre travailler pour et avec l’administration et cette notion est difficile à faire pour un vieux taulard”, reconnaît sans mal Stéphane qui a longtemps assimilé facilitateurs et balances.

Arrivé il y a quatre ans à Arles, il s’est depuis assagi. “Il y a quelques années, j’aurais dit à un mec condamné à 30 ans, t’as pas d’autres solutions que la lame de scie ou le calibre. Aujourd’hui, je lui dis qu’il faut qu’il commence à travailler sur du moyen terme. En terme de crédibilité, c’est du solide”, dit-il, en dévoilant un sourire fatigué. Puis, les yeux ronds comme des billes, il ajoute, pas peu fier: “Aujourd’hui, je sors même en permission et je rentre tout seul.”

Sur la chaise d’à côté, Christophe, 39 ans, lui aussi condamné à une lourde peine, insiste:
“Devenir facilitateur, c’est nous redonner la possibilité d’être responsable de quelqu’un. Car à force de déresponsabiliser un homme, comme on le fait en prison, il n’en est plus vraiment un.”
“Une source d’espoir”

Sa première mission, Christophe l’a réalisée il y a quatre ans. C’était auprès d’un détenu étranger. Il parlait juste anglais, avait de lourdes pathologies et ne prenait pas toujours son traitement. “Il était parfois très violent et multipliait les incidents avec les détenus, il fallait sans cesse gérer la vindicte”, se souvient ce grand gaillard, coiffé en brosse. Jusqu’au jour où la direction décide de convier le détenu à une médiation animale. “Je l’ai accompagné et j’ai préparé un lexique pour qu’il comprenne les instructions. Il est peu à peu devenu plus calme, plus posé”, dit-il.

Plus récemment, Christophe s’est aussi occupé d’un homme qu’il décrit comme “totalement parano”. “Il pensait que les surveillants lui volaient ses cotons tiges et des bouts de carton… On a fini par se rapprocher. Il a peu à peu intégré une vie sociale, pris du poids et ne se laisse plus aller.”
A Arles, les facilitateurs font aussi office d’intermédiaires entre surveillants et détenus. Un problème de cantine, un parloir refusé, ils tentent alors de désamorcer les conflits. “Quand j’interviens, c’est au titre de mon parcours personnel. Mes potes m’ont vu en rupture et m’ont vu intégrer le programme. Aujourd’hui, j’ai une perspective de sortie, ça montre bien que le dialogue ne sert pas à rien. C’est une source d’espoir pour des personnes condamnées à des peines infinies”, assure Stéphane.
“Donner du sens à la peine”

Ce dialogue se concrétise par la signature d’un engagement écrit entre le facilitateur, le détenu et l’administration qui fixe des objectifs précis. Le tout systématiquement validé par la commission pluri-disciplinaire. Puis, régulièrement, les facilitateurs participent à des journées de formation sur la prévention suicide, la gestion de la colère, les psycho-pathologies et les problèmes d’addiction. Des journées au cours desquelles surveillants et détenus partagent d’ailleurs le même repas.
“En maison centrale, la relation se créée sur la durée, on a le temps d’individualiser la peine, de lui donner du sens. Un jour, ces détenus seront libérés, ils doivent apprendre à verbaliser leurs colères et leurs frustrations. Cela n’a rien de révolutionnaire mais ça permet d’apaiser le climat”, sourit Christine Charbonnier, la directrice.
Divisé en deux bâtiments, totalement étanches l’un de l’autre, Arles compte 135 détenus condamnés à de longues peines, dont 58 % pour homicides. Tous évoluent dans une centrale très sécurisée où le régime dit des “portes fermées” a été instauré en 2009, après la réouverture de l’établissement fermé sept ans plus tôt pour cause d’inondations. Ce qui induit qu’en journée, les détenus ne peuvent circuler librement dans les coursives.

C’est donc à cette époque, conscient de la rigueur de ce régime de détention que la direction décide, pour éviter l’explosion, de miser sur le dialogue et la médiation. S’ensuivra l’instauration de temps d’expression collective dédié à l’organisation du quotidien (cantines, liens familiaux, activités), puis en décembre 2011, la création des facilitateurs.

“Quand on expliquait aux arrivants le fonctionnement de la prison avec les parloirs, les unités de vie familiale (UVF) [ndlr, appartement meublé et séparé de la détention où le détenu peut recevoir sa famille], l’expression collective, ils ne nous croyaient pas. On s’est donc dit que si c’était un détenu qui leur expliquait, ils n’en douteraient pas”, se souvient la directrice.

“Je ne travaillerai plus pareil”

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