jeudi 29 octobre 2015

Avocats, policiers, magistrats... la chaîne pénale toussote. Et se grippe !

Deux semaines après que les policiers ont manifesté leur mécontentement sous les fenêtres du Ministère de la Justice, d'autres professions expriment leur ras le bol. Ils sont avocats, surveillants de prison, peut-être bientôt rejoints par les agents de la police technique et scientifique, voire certains magistrats.
 
Très clairement, c'est un nombre considérable de maillons de la chaîne pénale, qui explosent. A ce jour, chacun de leur coté, pour des raisons qui leur sont propres.
Des raisons différentes? Pas si sûr !

Les greffiers de justice?

Ils étaient les premiers à manifester, voilà quelques mois, demandant une revalorisation de leur statut, alors même que de nouvelles missions allaient leur incomber. Ce n'était là qu'un début, un prémice.
Les avocats ?

Ils manifestent contre le projet de loi de finances 2016, et plus particulièrement son article 15, voté au Sénat le 19 octobre dernier. Il est question d’apporter des modifications quant à l’aide juridictionnelle ; pour les initiés l’AJ.

De quoi s'agit-il? Lorsqu'un citoyen se présente devant la justice (qu'il s'agisse d'infraction pénale, civile, commerciale ou autre), qu'il soit plaignant ou mis en cause, il va signer, avec son avocat, une convention par laquelle les tarifs de son conseil sont très clairement désignés. Lorsque le justiciable a de faibles revenus (le barème est fixé par Décret), il peut bénéficier de l'Aide Juridictionnelle. Sa prise en charge peut-être totale, ou partielle.

Lorsqu'il est question d'AJ, l'avocat n'est pas libre de pratiquer n'importe quel tarif. Il est, par exemple, considéré que dans le cadre d'un divorce la tâche de l'avocat est évaluée à hauteur d'un certain investissement; qui n'est pas le même sur une procédure d'appel, ou une garde à vue, etc... On appelle cela des Unités de Valeur (UV). Etant précisé que la valeur d'une UV est, elle aussi fixée par des barèmes, qui diffèrent selon les barreaux.

Le principe de cette réforme conduit ainsi à la modification de la valeur de l'UV, qui sera désormais la même pour tout le monde (certains barreaux y gagnent, d'autres non) et, par la même occasion, le texte modifie le nombre d'UV nécessaires dans chaque type de procédure. Et pour la très grande majorité des cas, il est revu  à la baisse. Au final, rémunéré par l'AJ, l'avocat gagnera moins qu'aujourd'hui.

Autre critique apportée au texte, le financement de cette « aide juridictionnelle ». Annuellement, l’Etat verse un peu plus de 300 millions d'euro pour financer l'AJ (somme répartie sur les différents barreaux) sur ce qui est appelé un compte « CARPA » (Caisse des règlements pécuniaires des avocats). Il s’agit d’un compte sur lequel (outre le versement fait par l'Etat)  transitent les indemnités liées à une condamnation. Une fois l'opération vérifiée, l'organisme règle les différentes parties. Mais, entre temps, cet argent a donné lieu à des intérêts. Et ce sont les intérêts de ce compte qui complètent le financement de l’AJ (à quelle hauteur?), mais interviennent également dans le cadre de l'organisation des barreaux (colloques, représentation), la formation initiale des élèves-avocats et à la formation continue des Avocats . Concrètement, l'Etat souhaiterait donc ponctionner 15 millions d'euro supplémentaires sur les intérêts de comptes CARPA, se défaussant d'autant dans son budget. De ce que l'on sait à ce jour, Mme Taubira a cédé sur la 1ère tranche de 5 millions prévue sur le budget 2016.

Les surveillants de prison?

Ils étaient, en ce début de semaine, place Vendôme, sous les fenêtres de leur Ministère de tutelle. De leur coté, ils dénoncent, notamment, leurs conditions de travail qui se dégradent, et les situations de tension qui apparaissent chaque jour dans les prisons françaises. Corollaire assez logique, il est également question de manques d'effectifs, et notamment depuis les baisses d'effectifs qui font suite au non-remplacement d'effectifs survenus entre 2007 et 2012.

Les magistrats?

Le Syndicat de la Magistrature, de son coté, appelle au soutien de la grève des avocats. Mais, plus largement, les magistrats ont, eux aussi ont de graves difficultés de fonctionnement. A la fois internes à leur organisation (effectifs, moyens matériels de fonctionnement), ayant pour conséquence des délais d'audiencement qui dépassent, selon les spécialités, plusieurs mois (voir les dernières affaires criminelles ayant conduit à des libérations avant l'audience).

Mais les magistrats éprouvent également  des difficultés vis à vis de budgets qui les touchent indirectement, s'agissant de l'argent utile aux mesures qu'ils sont susceptibles de prendre. Qu'il s'agisse de places de prison (les établissements sont surchargés), des Services Pénitentiaires d'Insertion et de Probation (SPIP) eux aussi en difficultés, ou encore des opérateurs intervenant dans la protection des mineurs, comme l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), ou encore les associations qui gèrent les mesures dites "en milieu ouvert".

 Pourtant, les magistrats semblent partagés sur le mouvement actuel des avocats qui a pour conséquence de surcharger encore un peu plus des calendriers déjà bien difficiles à tenir en temps normal.

Et la Police dans tout ça ?

Je ne vais pas y revenir en détail, mais c'est un peu un mélange de tout! Elle subit à la fois les comportements que peuvent noter les agents de la pénitentiaire, la lourdeur procédurale, mais aussi les problèmes d'effectifs et de moyens.

Il est finalement là, le mot tabou: les moyens. C'est bien la difficulté qui nous est commune à tous, nous les acteurs de la Justice, au sens large. Pour rappel, le budget alloué à la justice, (source Commission Européenne pour l'Efficacité de la Justice, CEPEJ) ne représentait, en 2012, que 1,9% du budget de l'Etat. Comparativement, notre pays se trouve 24ème au rang des nations, en deçà de la moyenne de 2,2% sur l'ensemble des pays étudiés (échantillon un peu plus large que l'Europe).

Budget1

En allant plus loin, l'on constate, avec le même rapport, que les Français ont versé, toujours en 2012, (par le biais de l'imposition), 61,2€ par an, pour leur justice, là où les Allemands y consacraient le double, et les Suisses plus du triple.

A qui la faute?

Le Gouvernement actuel est-il en faute plus qu'un autre?

On notera, d'après le site du Ministère de la Justice, que le budget de la justice a augmenté, en 2013, de 4.3%, pour être porté à 7.7 Mds€. Puis, en 2014, nouvelle augmentation, de 1.7%, passant à 7,82 Mds€. Les efforts sont réels. Le gouvernement actuel est notamment revenu sur la règle imposée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dite du "non remplacement d'un fonctionnaire sur deux".

Mais, plus que de petites augmentations, ce qu'il est nécessaire de mettre en place, c'est une réelle réforme de fond de tout le système judiciaire. Bien évidemment une augmentation concrète des moyens, mais aussi des réformes structurelles. Et, quel que soit le pouvoir qui soit en place, qu'il mette en oeuvre des réformes, mais surtout, qu'elles soient accompagnées des moyens qui vont avec  Le tout, alors même que la France s'est engagée vis à vis de ses partenaires européens, à réduire son train de vie...

Sans réelle prise de conscience, tout le système ne pourra qu'empirer, année après année. L'on peut supposer que les avocats en finiront avec leur mouvement d'ici quelques jours. En ayant obtenu gain de cause ou non. Sauf qu'à la prochaine étincelle, d'où qu'elle vienne, les manifestations reprendront. Avec, en toile de fond, toujours la même problématique.
La loi ignore presque le droit. Il y a, d'un coté, la pénalité, de l'autre, l'humanité. Les philosophes protestent: mais il se passera du temps avant que la justice des hommes ait fait sa jonction avec la justice.
Victor Hugo, L"Homme qui rit
Plus le temps passe. Et plus on s'en éloigne. De l'une, comme de l'autre.

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