lundi 22 février 2016

L'avocate de Patrick Henry : "Au-delà de 20 ans de prison, cela n’a plus de sens"

INTERVIEW - Me Carine Delaby-Faure défend le détenu le plus connu de France. En 1977, Patrick Henry échappe à la peine de mort. Libéré en 2001, il replonge... Jeudi, il espère sortir après 38 ans derrière les barreaux.


Le 22 août 2002, Patrick Henry comparaît devant le tribunal correctionnel de Caen pour le vol d’objets de bricolage dans une grande surface


Pensez-vous que votre client obtiendra sa libération conditionnelle?
Patrick Henry a passé 38 années en prison. Et je vous assure que les experts sont unanimes : il n’est atteint d’aucune pathologie psychiatrique. C’est aujourd’hui un homme de 62 ans, arrivé au bout d’un processus. Il n’y a plus d’obstacle à sa sortie, si ce n’est qu’il reste un symbole : celui de l’abolition de la peine de mort, de"la France a peur" de Roger Gicquel. Si on ne laisse pas sortir maintenant, il ne sortira jamais.

"Patrick Henry a été le détenu le plus détesté de France"

Mais il a déjà bénéficié d’une conditionnelle en 2001. Et cela été un échec…
Oui mais un échec que l'on peut expliquer aujourd'hui par l'absence de psychothérapie et qui pose la question de la capacité des établissements pénitentiaires à préparer les longues peines à leur sortie. Patrick Henry a été le détenu le plus détesté de France, il a failli être décapité, il a vécu des années en isolement. En 2001, il est incarcéré depuis 25 ans, a subi des tas d’examens psychiatriques, mais personne ne lui a proposé de psychothérapie! Quand il sort, il n’est pas prêt. Il m’a confié qu’à un moment donné, il était tellement mal qu’il avait recréé sa cellule dans son appartement. Dehors, des journalistes le suivent, il écrit un livre, il est happé par la notoriété. Mais dans le cadre professionnel, on lui demande de changer de nom, de travailler de chez lui… Il est désarçonné.
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«Lors de sa première conditionnelle, il était tellement mal qu’il avait recréé sa cellule dans son appartement»
Il a replongé…
Il est allé chercher du cannabis en Espagne. C’est grave, mais cela n’a rien à voir avec le crime de 1976. Nous ne sommes pas face à un serial killer! Pour cette affaire de drogue, il a payé 13 ans de plus. Et il a enfin suivi une psychothérapie. Pendant six ans, il a essayé de comprendre ses failles, le fait qu’il s’extériorise très peu... Il a fait un énorme travail sur lui-même.
Quelles sont les garanties aujourd’hui?
Le tribunal avait prévu une fin de détention très progressive : trois permissions de sortie, six mois de semi-liberté et dix mois sous surveillance électronique, puis la libération conditionnelle durant laquelle M. Henry serait soumis à des obligations, pendant sept ans : travailler ou s’engager dans des activités bénévoles, avoir un suivi psychologique, s’abstenir de paraître dans le département de l’Aube où se sont passés les faits… Seule la prison est plus encadrée!
Quels sont ses projets si on le libère?
Il a un appartement prêté par des amis dans la banlieue lilloise. Il espère encore trouver du travail, mais à 62 ans, les portes sont plus dures à ouvrir. Il a six mois de semi-liberté pour trouver une activité bénévole. Je pense qu’il y arrivera. Il a toujours travaillé en détention. Il est très qualifié en informatique. Sa mère et sa sœur aînée le soutiennent. Puis je suis lilloise, ses bienfaiteurs habitent à 15 kilomètres de chez lui, nous pourrons l’aider.

"Qu’il ait des tentations, c’est possible. Mais il sait quels sont les risques pour lui s'il y succombe"

Les experts estiment qu’il a toujours un rapport problématique à l’argent…
Les experts ouvrent le parapluie. Il va devoir vivre chichement. Qu’il ait des tentations, c’est possible. Mais il sait aujourd'hui quels sont les risques pour lui s'il y succombe. Le risque zéro, réclamé par le parquet à l'audience, n'existe pas. L’ADN du juge d’application des peines, c’est justement de parier sur l’avenir d’un homme qui a fauté, même lourdement. Mais politiquement, on ne veut pas l’entendre…
«Le risque zéro n'existe pas. L’ADN du juge d’application des peines, c’est de parier sur l’avenir d’un homme qui a fauté. Mais politiquement, on ne veut pas l’entendre…»
La commission pluridisciplinaire a émis un avis défavorable à sa demande de libération…
Elle a été créée pour émettre des avis défavorables... C'est une commission alibi, instaurée au moment de l’enlèvement du petit Enis par un multirécidiviste en 2008. Elle vient compléter la synthèse rendue par le centre national d’évaluation (CNE) qui observe le détenu pendant six semaines. Ces deux outils ont été mis en place pour empêcher les longues peines de sortir.
Patrick Henry a tué un enfant…
Il a payé pour cela. Certains commettent des actes de barbarie, prennent du plaisir à torturer. Patrick Henry a tué un petit garçon dans un moment de panique. Il a demandé pardon dès 1977. En décembre dernier, il l’a redit aux juges : "Il ne se passe pas un jour sans que je pense à ce gamin." C’est au fond de lui. Souvent, les gens me questionnent : "Comment pouvez-vous le défendre?" Je leur réponds que j'assiste un homme de 62 ans qui a payé sa dette à la société. Il faut arrêter de vouloir le rejuger pour les faits d’il y a 40 ans.

 "Au-delà de 20 ans de réclusion, cela n’a plus de sens"

En principe, il a été condamné à perpétuité…
Mais perpétuité, cela signifie peine indéterminée, non peine perpétuelle. Sinon la France serait condamnée par la Cour européenne des Droits de l'Homme qui exige un espoir de sortie. Patrick Henry a été condamné en 1977. A l’époque, les périodes de sûreté n’existaient pas. A partir du moment où on a aboli la peine de mort, on a supprimé les peines définitives. Actuellement, il n’y a que trois détenus condamnés à une perpétuité incompressible, avec une période de sûreté de 30 ans : Pierre BodeinMichel Fourniret et Nicolas Blondiau pour le meurtre et le viol d’une enfant de 8 ans.
«Perpétuité, cela signifie peine indéterminée, non peine perpétuelle»
Au bout de combien de temps une peine perd-elle son sens selon vous?
C'est très difficile de répondre. Pour lestueurs en série, la question de la dangerosité psychiatrique se pose. Sinon, au-delà de 20 ans de réclusion, cela n’a plus de sens. La plupart des condamnés à perpèt' ne travaillent pas à leur réinsertion. Patrick Henry, lui, a repris ses études dès le départ, quand il était isolé dans les quartiers de haute sécurité. Il s’est dit : "Soit je deviens fou, soit j’essaie de vivre différemment."

Que pensez-vous du traitement des longues peines en France?
Dans les pays scandinaves, où existent des prisons ouvertes, on prépare les détenus à la sortie, et il y a beaucoup moins de récidives. Notre système pénitentiaire, lui, met l’accent sur la dangerosité. Nous avons dressé des tas de remparts pour que les longues peines restent en détention. En France, il n’y en a qu’une seule prison ouverte, Casabianca, en Corse. Elle affiche de très bons résultats, avec un taux de récidive quasi nul. A mon avis, c’est la solution. Il y a une réflexion à mener. Et nous avons un nouveau ministre de la Justice

JDD

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