samedi 16 avril 2016

Le suicide, plaie béante des prisons françaises

La France détient un triste record en Europe, celui du nombre de suicide en prison. D’après les “données du Conseil de l’Europe”

12,4 détenus pour 10 000 se donnent la mort chaque année dans le pays, c’est deux fois plus qu’en Espagne, et ce chiffre s’avère également presque deux fois supérieur à la moyenne des pays européens. Le plus souvent, les prisonniers mettent fin à leurs jours par pendaison, ou succombent à une overdose.

Comment ces gestes peuvent-ils échapper à la vigilance de l’administration pénitentiaire, malgré l’existence d’un plan anti-suicide, lancé en 2010 ?

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Pour y répondre, nous sommes allés à Lille, à la rencontre de Rahma. Son frère est mort en 2010, au terme d’une agonie de deux mois, suite à une overdose de psychotropes. Il était incarcéré à la prison de Maubeuge.

Après ce drame, sa famille a porté plainte pour “non assistance à personne en danger” et “mise en danger de la vie d’autrui”. En 2009, Morad Zennati est condamné à deux ans de prison ferme pour possession de cannabis. L’homme, alors âgé de 31 ans, souffre de claustrophobie. Pour lui, la descente aux enfers est immédiate.

“J’ai été voir mon frère au parloir”, explique sa soeur Rahma Zennati, donc on voit une personne d’1,90 mètre et de 120 kilos qui est en chaise roulante… Sans être médecin, il y a un problème quelque part.

Mais pour eux, c‘était un manipulateur qui pleurait tout le temps au moment du parloir. On nous a dit qu’on ne devait pas nous inquiéter, et qu’au prochain parloir, il serait toujours vivant. Jusqu’au jour où on est partis, et on l’a pas retrouvé vivant”.

Lorsque Rahma est informée de l’hospitalisation de son frère,elle se rend à son chevet. “Lorsque je suis rentrée dans sa chambre, il convulsait encore”, se souvient la jeune femme”, “après 48 heures sous assistance respiratoire et menotté, avec un policier dans la chambre”. “Mon frère ne supportait pas l’incarcération”, poursuit-elle, “il faut savoir qu’il n’avait jamais pris de benzodiazépines auparavant, ni d’anti-dépresseurs. Il ne supportait pas l’incarcération, mais pour le service médical de la prison, le mieux dans ce cas-là c‘était de donner un traitement”.

Lorsqu’elle récupère les affaires de son frère Morad, Rahma retrouve “des petits sachets, dix à quinze Valium, une dizaine d’Imovan du Xanax. Il y a un mélange de tout : des benzodiazépines,des neuroleptiques, des antidépresseurs, des somnifères. Comment ce cocktail ne peut-il pas être fatal à quelqu’un ?”. Selon elle, le contrôle de ces médicaments à haut risque est insuffisant dans le milieu carcéral.

A la prison de Longuenesse, cette fois, dans le nord de la France, la distribution des traitements suit une procédure bien rôdée.

 Chaque détenu est vu par un psychiatre au moment de son incarcération. Pour ceux chez qui on décèle des tendances suicidaires, les infirmières leur distribuent de manière quotidienne leurs médicaments, qui doivent être ingérés en leur présence.

 En revanche, pour ceux qui ne sont pas jugés “à risque”, les soignants passent avec un chariot deux fois par semaine et délivrent à ce moment-là l‘équivalent de trois jours de traitements.

Mais le problème réside dans le fait que les psychotropes font partie intégrante du marché noir en prison. Ils sont l’une des monnaies d‘échange les plus prisées pour se procurer parfois quelques cigarettes. Ceux qui voudraient mettre fin à leurs jours peuvent donc facilement mettre la main sur un stock important de ces substances délétères. Le mal-être peut aussi survenir en cours de détention, et s’il n’est pas détecté, la personne peut être tentée de stocker là aussi des médicaments, dans l’hypothèse d’un suicide.

Les médecins généralistes cèdent parfois aux demandes des détenus avec une certaine facilité, selon des infirmiers psychiatriques de la prison de Longuenesse, comme cela a été le cas l’an dernier.
“C‘était une petite année où les médecins ne faisaient que changer”, relate Caroline Penet, infirmière psychiatrique. “Certains, moins consciencieux, peut-être, prescrivaient plus facilement à la demande du détenu. Si on retrouve des chiffres de l’infirmerie à ce moment-là, je pense qu’on verrait qu’il y avait un afflux de prisonniers plus important. Mes détenus se disent entre eux : va voir le médecin, il va te donner ce que tu veux”.

Par ailleurs, au cours de ces dernières décennies, la population carcérale a évolué. Les situations de fragilité semblent désormais plus courantes chez les détenus.

“Des personnes qui sont fragiles mentalement, j’en ai vues, mais avant, on en voyait moins”, souligne un prisonnier, “car on les mettait en hôpital psychiatrique. Mais cela coûte plus cher de les mettre là-bas, donc ils les ramènent en prison. Et je vois de plus en plus de personnes dans ce cas”.

Il n’est pas rare que des patients schizophrènes fassent un séjour en prison. Des patients qui, souvent, ont encore plus de mal à s’adapter à la détention.

“Cela me fait penser que la France ne va pas bien”, estime le psychiatre Cyrille Canetti. “On se débarrasse, en quelque sorte, d’une population gênante en prison, sans vouloir vraiment voir ce qui s’y passe. Et je pense notamment aux malades mentaux, dont la population a vraiment augmenté en milieu carcéral, parce qu’ils commencent à être des exclus de la société, ils sont plus vus comme des gens dangereux que comme des gens en souffrance, et donc on a davantage tendance à les envoyer en prison, alors que ce n’est pas du tout leur place”.

Les cas de suicide peu avant la sortie de prison restent également fréquents. SI la sortie constitue un moment attendu, celui-ci est parfois redouté, et peut-être pas encore assez préparé.

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