jeudi 27 octobre 2016

Plan prisons : les millions d'euros que les politiques s'arrachent

Les parlementaires PS s'activent pour obtenir la construction de prisons sur leur terre d'élection. Un enjeu fondamental pour battre la droite aux législatives 2017.

Les politiques s'activent en coulisse pour que des prisons s'implantent sur leur terre d'élection (photo d'illustration : le centre de détention de Muret).

Depuis plusieurs semaines, les élus courtisent activement Jean-Jacques Urvoas pour avoir la chance d'échanger quelques minutes avec lui. La création de 10 000 à 16 000 places de prison annoncée par le ministre de la Justice le 20 septembre dernier a réveillé les appétits politiques. 

La raison est simple : pour un parlementaire, obtenir sur son territoire la création d'une prison, c'est l'assurance de créer de l'emploi pour les dix prochaines années (BTP, plomberie, électricité, sécurité, etc.), de faire venir des familles entières dans une commune, de redynamiser le tissu économique et d'irriguer les commerces alentour. En clair : c'est prendre une sérieuse option pour les législatives de 2017.

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Un subtil jeu de go a donc commencé, dans lequel le PS a bien évidemment intérêt à favoriser les fiefs de sa famille politique. Problème : nombreuses sont les villes détenues par la droite qui font partie de circonscriptions législatives acquises à la gauche. Et inversement.

Rien n'est encore tranché et les préfets ont jusqu'à la mi-décembre pour faire remonter à la chancellerie les meilleures options. Les doutes subsistent, mais des villes sont déjà désignées par le gouvernement comme un « premier choix ».

C'est ainsi que Cherbourg (PS), le fief de Bernard Cazeneuve, serait privilégié à Saint-Lô (LR). Ou que Nîmes, dont la maison d'arrêt est en état de surpopulation carcérale chronique, l'emporterait sur Alès.

Menaces d'élus locaux

Dans le sud de la France, les choix ministériels ont déjà fait des étincelles. Le 18 octobre, Jean-René Etchegaray, le maire UDI de Bayonne, apprenant que Pau a la préférence de Jean-Jacques Urvoas, réplique immédiatement dans Sud-Ouest.

L'élu fait planer la menace fantasque de fermer la prison implantée sur sa commune et de la transformer en commerces : « Notre prison est vétuste et saturée, à la différence de celles de Pau et de Mont-de-Marsan, lance-t-il. Puisque nouvelle prison il doit y avoir, je ne me plaindrais pas qu'elle permette de vider la nôtre. Je ne me plaindrais pas non plus de récupérer le bâtiment... »

À quelques centaines de kilomètres de là, sur la Méditerranée, c'est à Narbonne que cela chauffe. Colère des parlementaires socialistes Roland Courteau et Marie-Hélène Fabre en apprenant que Perpignan a les faveurs du garde des Sceaux.

Le 7 octobre, dans L'Indépendant, les deux élus assurent qu'ils avaient pourtant obtenu des garanties ministérielles : « Il y a un mois, Narbonne n'était même pas dans la boucle », pestent-ils.

Départager deux fiefs socialistes

La situation politique la plus compliquée reste peut-être en Vendée, où les services du ministère n'ont pas encore tranché.

La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte, qui possèdent déjà toutes deux une maison d'arrêt, se battent pour obtenir une troisième structure sur le territoire de leur commune. Les deux prisons, que Le Point.fr a pu visiter, sont bâties sur le même modèle.

Une surpopulation qui dépasse les 215 %, 86 lits dans la première, 69 dans la seconde. Les détenus, vivent à trois ou quatre par cellule, ont peu d'occupation et peu de travail – les chefs d'établissement des deux maisons d'arrêt se plaignant de l'étroitesse de l'atelier.

Aussi la situation est-elle quelque peu ubuesque : les deux élus PS se querellent par médias interposés et veulent se tailler une part du gâteau alors qu'ils sont dans le même parti.

« J'essaie de mettre un peu la pression sur le ministre, reconnaît Sylviane Bulteau, députée PS sur le secteur de La Roche-sur-Yon. C'est le moment opportun de lui dire que, maintenant, ça suffit et qu'on attend la construction d'une prison ici. »

« Fontenay est l'épicentre de la région, rétorque Hugues Fourage, député PS sur le secteur de Fontenay-le-Comte. Ce qu'on veut, c'est que ce qu'on nous a promis soit mis en œuvre. »

Le lobbying auprès des autorités et élus locaux est intense. Ces derniers temps, Hugues Fourage est si souvent venu en prison que les surveillants l'accueillent d'un « tiens, on vous voit souvent en ce moment, Monsieur le Député », avant de le moquer gentiment : « Ici, il est comme chez lui. »

Plus de 200 % de surpopulation carcérale

Dans Ouest France, Sylviane Bulteau souligne l'enjeu électoral : « C'est le dossier le plus chaud. » Mais, au petit jeu de celui qui sera le plus convaincant, Fourage, proche de Manuel Valls, n'hésite pas à jouer des coudes.

Et le député socialiste de brandir une lettre de décembre 2011 de Michel Mercier, ancien ministre de la Justice dans le quinquennat précédent, lequel promettait la construction d'une nouvelle structure… à Fontenay-le-Comte ! Un projet qui avait été abandonné par Christiane Taubira, faute de financement.

Depuis, pas un mois sans que l'élu ne se rappelle à ses amis au gouvernement (voir la lettre ci-dessous) et à « Jean-Jacques », à qui il donne volontiers du « tu ».

À Paris, on considère cependant que la situation des prisons vendéennes n'est pas la plus urgente. Si la surpopulation pénale atteint des sommets, la petite taille des établissements la rend plus tolérable pour les détenus.

Les surveillants le confient d'ailleurs volontiers, eux qui ont fui les grandes maisons d'arrêt d'Île-de-France pour rejoindre des établissements modestes « où il y a beaucoup moins de tensions », expliquent-ils. La délinquance n'est pas non plus la même et le profil des prisonniers est jugé moins préoccupant et moins dangereux.

Le préfet et la chancellerie doivent trancher dans les prochains jours les arguments d'« aménagement du territoire » présentés par les deux députés. La situation politique est difficile pour le PS. En 2014, La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte, deux bastions de gauche, ont toutes les deux basculé à droite. Dans la voiture sur le chemin de la prison, Fourage, concentré sur sa route, l'admet du bout des lèvres : « On les croyait pourtant imperdables. »

Le Point

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