samedi 17 mars 2018

Chambre avec vue... sur les Baumettes

Le nouveau bâtiment de la prison de Marseille rend infernale la vie des voisins. Cris et klaxons troublent la tranquillité du quartier, et la valeur des biens a plongé.

Chambre avec vue... sur les Baumettes

C’est une journée d’été étouffante. Robert déjeune avec sa femme, sur leur balcon, lorsqu’il entend : «Oh ! le parasol jaune, tu vas manger devant nous ? Rentre chez toi ou on va s’occuper de ta femme !»



A 180 mètres d’eux, un détenu des Baumettes les invective derrière ses barreaux. Robert a dû s’y faire : de sa maison, cet ancien plongeur professionnel, une figure du quartier, a vue directe sur la prison. Et ses locataires.

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Les prisonniers qui fument, ceux qui regardent la télé… avec de bonnes jumelles, il pourrait même les identifier. Mais, plus que tout, il les entend hurler leur fureur, chanter à tue-tête les tubes du hit-parade et crier les hymnes du Vélodrome. «Les soirs de match, pas besoin de regarder les résumés, on connaît les résultats de l’OM.»

Robert rit jaune. Jour et nuit, ce sont des discussions interminables entre cellules, des échanges fleuris, des insultes d’un bâtiment à l’autre. Et des cris. Stridents, sauvages, gutturaux. De rage ou de détresse. Des anecdotes comme celle-ci, chemin de Morgiou, la grande rue qui longe le centre pénitentiaire jusqu’à la mer, on nous les conte par dizaines.

Nous sommes au bout du IXe arrondissement marseillais, au bord des merveilleuses calanques. D’un côté, la garrigue ; de l’autre, des habitations. Au milieu, les Baumettes, avec le quartier des hommes, à environ 180 mètres des résidences, et celui des femmes, encore plus près, à seulement 50 mètres.

Apostrophes, injures, menaces, la musique infernale de la prison s’invite directement chez les habitants. Dans les jardins, les salons, les chambres. Un jour où Eliane, 74 ans, étend son linge, elle entend une prévenue crier : «Elles sont propres tes culottes ! Tu veux pas laver les nôtres ?» La Marseillaise hausse les épaules. «C’est notre quotidien, dit-elle. Au lieu de mettre les cellules côté colline, elles sont tournées vers nous. Nous voyons vivre les détenus, et ils voient chez nous !»

Pour certains prisonniers, cette nouvelle promiscuité est une distraction. D’autres se protègent du cagnard et des regards avec des serviettes ou des tee-shirts. Pour les riverains, c’est un cauchemar.

Anne et Eric, jeunes retraités, sont aux premières loges. Oubliés, les barbecues, les dîners en famille ou entre amis sur leur terrasse. Eté comme hiver, le couple vit fenêtres fermées et, dans la cuisine, volets tirés à moitié. «Nous avons emménagé ici en 1997 et, jusqu’alors, nous n’avions aucun problème. Mais depuis le 15 mai 2017, c’est insupportable !»

Leurs voisins ont installé la climatisation. Certains ont condamné leur piscine. Ceux qui osent encore se baigner se font insulter. Les jeunes filles en jupe aussi. D’autres ont construit des palissades et des murs en brique. Barricadés ! «Nous sommes prisonniers de cette situation, s’indigne Eric. C’est dramatique, on ne peut plus rien faire chez nous !»

Vivre au pied des Baumettes n’a jamais été très drôle, mais jusqu’à une époque récente, au moins, c’était «tranquille», expliquent les riverains en appuyant, à dessein, sur chaque syllabe. En juillet 2013, tout bascule. Les travaux de démolition puis de rénovation des Baumettes sont lancés. Il le fallait. Les murs historiques inaugurés en 1936 étaient vétustes et insalubres.

En 2009, Paris Match avait raconté l’enfer de cette taule singulière. Un surveillant décrivait le ciment des coursives, si poisseux qu’il colle à la semelle. Et l’odeur, mélange âcre de moisi, de sueur, de cendre de cigarette, de crasse et de bouffe en décomposition. «Bosser ici, confiait-il, c’est comme passer sa journée au cul d’un camion poubelle.»

Pendant des années, le contrôleur général des prisons –dont la mission est de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté– a critiqué l’Etat et les conditions inhumaines de détention, dénoncé la surpopulation, l’insalubrité, les rats, les douches crasseuses… L’Etat a décidé de raser progressivement et de refonder les Baumettes.

En 2012, l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij), chargée de reconstruire le centre pénitentiaire, présente le projet «Baumettes 2» au maire et aux riverains. «Sur le papier, c’était rassurant», jurent-ils en chœur. Trois ans et des tonnes de poussière plus tard, lassitude et exaspération marquent leurs traits. Une colère qui ne vise ni les prisonniers ni les surveillants, mais l’administration. Lionel Royer-Perreaut, maire des IXe et Xe arrondissements, dit aujourd’hui avoir été «trompé».

Paris Match s’est procuré les 17 pages du document de l’Apij, bourré d’aberrations. Concernant les ailes réservées aux femmes, il y est écrit que le bâtiment le plus proche des habitations est aussi «le moins bruyant. En effet, les profils des détenues femmes en centre pénitentiaire sont globalement plus calmes que les profils hommes».

Les stéréotypes n’ont pas résisté à l’épreuve de réalité. Les prisonnières se montrent aussi volubiles et criardes que les hommes, hélant badauds et riverains qu’elles voient passer sous leur nez. Les experts affirmaient encore que le «niveau sonore de référence du site, c’est-à-dire le niveau ambiant», est à 45 décibels, soit le bruit courant dans un appartement sur rue… Cet après-midi de mars, une radio musicale résonne depuis une cellule. Le volume à fond, on dirait qu’il y a une fête dans le quartier.

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