mardi 24 avril 2018

Prisons: Pourquoi est-ce si difficile d'enquêter sur la mort des détenus?

Deux détenus sont décédés à Fleury-Mérogis entre le 5 et le 8 avril, un troisième serait mort par « asphyxie » la semaine dernière à la prison de Seysses, au sud de Toulouse...

Prisons: Pourquoi est-ce si difficile d'enquêter sur la mort des détenus?

Entre 2000 et 2010, 2.613 décès ont été comptabilisés par l’administration pénitentiaire.
L’estimation du nombre de suicides en prison sur la même période serait comprise entre 1.258 et 1.295, soit près de la moitié.



Lorsqu’une personne détenue meurt dans un établissement pénitentiaire, le procureur doit être systématiquement informé.

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« Monsieur, il y a eu un accident cette nuit. Votre fils est mort ». Vingt-deux ans après, cette phrase lâchée un petit matin de juillet par le directeur de la prison de Bois-D’arcy (Yvelines) reste « gravée dans le cerveau » de Salah Zaouiya. Âgé de 20 ans, son fils Jawad est décédé le 23 juillet 1996 dans l’incendie de sa cellule. Combien sont-ils chaque année à perdre la vie au milieu d’une coursive, pendant la promenade ou entre les quatre murs de leur cellule ?

Entre 2000 et 2010, 2.613 personnes sont décédées derrière les barreaux dont la moitié sont des suicides, selon une étude publiée en janvier 2017 par Santé publique France. Ces dernières semaines, trois détenus ont été retrouvés morts, deux à Fleury-Mérogis (Essonne) et un à Seysses, au sud de Toulouse (Haute-Garonne). Dans chaque cas, une enquête a été ouverte afin d’éclaircir les circonstances de ces disparitions. Mais la « manifestation de la vérité » se heurte souvent à la violence d’un monde régi par l’omerta et la suspicion.

« Démêler le vrai du faux »

« Le procureur est systématiquement avisé en cas de décès en détention », assure le porte-parole du ministère de la Justice, Youssef Badr. Le magistrat, prévenu par la direction de la prison ouvre alors une enquête pour rechercher les causes de la mort. « Les investigations sont confiées à un officier de police judiciaire (OPJ) qui va faire des constations sur le corps, perquisitionner la cellule et réaliser les auditions de toutes les personnes susceptibles d’apporter des informations, codétenus ou surveillants », poursuit le porte-parole. L’autopsie est ensuite ordonnée par le procureur.

Robert Montury le reconnaît, enquêter en prison n’est pas toujours aisé. Policier au sein d’une brigade de sûreté urbaine (BSU), il est intervenu pendant un an et demi dans des maisons d’arrêts et centres de détention. « Quand on veut interroger des détenus, on a deux possibilités. Soit les entendre dans une petite salle dans le centre pénitentiaire. Soit demander de les extraire », détaille-t-il. Plus rares car « plus complexes » à mettre en place, ces extractions sont pourtant plus « confortables » pour les enquêteurs.

« Dans la prison, un détenu est dans son univers. Il sera plus à l’aise psychologiquement lors d’un tête-à-tête avec nous dans une coursive. Alors que dans un commissariat, on aura un petit ascendant sur lui pendant l’audition », confie ce délégué départemental UNSA Police. Les relations tendues qui rythment la vie en détention compliquent aussi le travail des fonctionnaires : « Il faut être extrêmement vigilant, les surveillants peuvent être instrumentalisés par des détenus dans certaines enquêtes (…) et à côté de ça, on n’est jamais à l’abri d’un cas un maton qui craque et qui serait devenu violent à l’égard des prisonniers. Il faut savoir démêler le vrai du faux ».

Un « déficit d’information » suspicieux

La défiance qui entoure la mort d’un détenu est parfois alimentée par l’administration déplore François Bès, coordinateur du pôle « Enquête » pour l’Observatoire international des prisons (OIP) : « On nous rapporte des cas de familles qui viennent au parloir, mais qui n’ont pas été informées du décès de leur proche et qui l’apprennent sur place. Il y a encore des ratages de ce côté-là et un déficit d’information sur les circonstances du décès. Immanquablement, ça crée une suspicion. Surtout quand il s’agit d’un suicide et que l’entourage n’a pas pu déceler la détresse de la personne détenue ».

Un constat partagé par Etienne Noël, avocat au barreau de Rouen et spécialiste du droit pénitentiaire et de l’application des peines. « L’administration pénitentiaire n’arrive toujours pas à communiquer de façon claire et humaine là-dessus (…) il y a une telle paranoïa sur la sécurité qu’on en dit le minimum. Idem pour l’institution judiciaire. Dans 90 % des cas, les plaintes des proches pour "non-assistance à personne en danger" sont classées sans suite. Sauf que le parquet leur notifie simplement le décès, mais sans leur expliquer pourquoi ! ».

Une bataille judiciaire symptomatique

Pour les crimes les plus violents, les viols et les homicides, l’avocat reconnaît toutefois l’efficacité de la procédure : « Les enquêtes sont faites de façon approfondie et débouchent très souvent sur une instruction puis un procès d’assises. Mais dès qu’il faut déterminer une infraction, une faute impliquant un surveillant et ayant abouti à la mort ou au suicide d’un détenu, c’est plus compliqué ». Salah Zaouiya a attendu douze ans pour que l’Etat français soit définitivement reconnu responsable du décès de son fils. Placé le 12 juillet 1996 en détention provisoire, Jawad Zaouiya partageait une cellule de 9m2 avec deux autres détenus. Le 23 juillet, en pleine nuit, l’un d’eux a déclenché un incendie. Les surveillants ouvrent la porte seulement quinze minutes plus tard. Quand le SAMU arrive, le jeune homme est déjà dans le coma.

« Je croyais beaucoup en la justice française. Je me disais que l’enquête allait montrer les responsabilités des uns et des autres. Mais ça a été classé sans suite. Ça m’a révolté. Suite à ça, on a porté plainte, on a pris un avocat, il y a eu des expertises, des contre-expertises et finalement un non-lieu a été rendu », relate le sexagénaire...

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